Une des choses qui ressort de façon frappante du long témoignage de l'ex-entrepreneur Lino Zambito à la commission Charbonneau, c'est la multiplicité des stratagèmes pour réussir à contourner les règles, à truquer les appels d'offres et à siphonner les fonds publics.

Dans le cas de la Ville de Montréal, on est en présence d'un système de collusion et de truquage d'appels d'offres contrôlé et géré par la mafia, avec la complicité de fonctionnaires municipaux. Une partie des bénéfices, si on se fie au témoignage de M. Zambito, se transformait en ristournes au parti au pouvoir à la mairie. Le maire admet qu'il y a problème, il s'indigne de la corruption et jure que tout cela se faisait à son insu.

À Laval, le système était très différent, sans mafia, sans collusion, sans truquage d'appels d'offres. On y trouvait plutôt un cercle fermé d'entrepreneurs qui avaient accès aux contrats municipaux, dont les membres étaient désignés, toujours selon les affirmations de M. Zambito, avec la bénédiction du maire, qui touchait 2,5%. Le maire nie l'existence de toute malversation dans sa ville.

Une première conclusion, qui saute aux yeux, c'est à quel point le leadership s'exerce différemment dans les deux grandes villes de la zone métropolitaine. Même dans les aspects les moins ragoûtants de la vie municipale, la ville de Laval est gérée, tandis que Montréal vit dans l'approximation et le flou.

L'autre conclusion, c'est qu'on ne peut pas ramener la pourriture dans la construction et dans l'octroi des contrats publics à la question du financement des partis politiques. Pour les médias, c'est certainement l'élément le plus juteux. Pour les citoyens, c'est l'aspect le plus scandaleux.

Mais le financement n'est ni le dénominateur commun, ni la source première du problème. Le fil directeur, c'est la présence d'un grand nombre de gens qui tentent de profiter de façon illégale et illégitime des fonds publics, pour exploiter le système de façon frauduleuse.

Jusqu'ici, tant les révélations médiatiques que les travaux de la commission indiquent que les maîtres du jeu et les principaux bénéficiaires de ces magouilles semblent être bien davantage les entrepreneurs, les fonctionnaires corrompus, les ingénieurs-conseil et les élus municipaux que les collecteurs de fonds des partis politiques provinciaux. Regardez les chiffres lancés à la commission: 600 000$ pour l'ingénieur Gilles Surprenant (M. TPS), et (selon les allégations de M. Zambito) 30 000$ pour Pierre Bibeau et le PLQ.

Je ne cherche surtout pas à minimiser le problème. Les allégations de M. Zambito sont extrêmement graves. Et il y en aura d'autres au fil de la commission. Enveloppe brune pour les libéraux, utilisation de prête-noms, activités de financement libérales qui attiraient des personnages douteux. Il y en a bien assez pour vouloir faire le grand ménage.

Le resserrement des règles de financement contribuera à assainir notre démocratie, mais cela n'aura pas beaucoup d'impact sur ceux qui n'ont pas l'intention de les respecter, ne changera rien aux pratiques de ristournes et aux enveloppes brunes qui sont déjà illégales, et ne réussira pas à mettre de l'ordre dans la démocratie municipale, beaucoup plus difficile à encadrer.

Pour nettoyer la construction et mettre fin à la spoliation des fonds publics, il faudra beaucoup plus: des mécanismes permanents de lutte contre le crime organisé, une surveillance de l'industrie, un monitoring des contrats publics, de nouvelles règles d'appel d'offres, notamment pour s'affranchir de la règle du plus bas soumissionnaire, des pénalités sévères et des façons d'écarter les entrepreneurs douteux.

C'est très probablement dans cette direction qu'iront les recommandations de la commission Charbonneau. Des interventions de longue haleine, qui ne feront pas la manchette, mais qui nous demanderont de la patience, de la détermination et de la constance.