Ce titre, ce n'est pas mon idée. C'est l'adresse du site internet de Justin Trudeau. Huit lettres et un signe de ponctuation qui résument admirablement le style de celui qui vient d'annoncer qu'il se présentera à la course au leadership du Parti libéral du Canada.

Tout y est. La concision de l'adresse, qui projette la modernité et une maîtrise évidente des médias sociaux. L'espace de domaine, le «.ca», qui en soi, constitue un programme. Et bien sûr, le fait que cette adresse, c'est qu'elle porte sur le prénom du politicien, plutôt que sur son nom.

Cette façon de gérer le lourd héritage qui est le sien ne dupe personne. Le principal atout du député de Papineau, c'est d'être le fils de Pierre Elliott Trudeau. Comme l'écrivait cette semaine Jeffrey Simpson dans The Globe and Mail, il ne pourrait tout simplement être candidat à la direction de son parti s'il s'appelait Justin Turner ou Justin Thibeault.

Il est vrai que depuis qu'il s'est lancé en politique, Justin Trudeau a étonné. Il a réussi à remporter la circonscription difficile de Papineau. Il a démontré des talents réels pour communiquer avec les gens, pour faire preuve d'empathie. Il a manifestement du style: beau garçon, impeccablement habillé, photogénique, d'excellents réflexes médiatiques.

Ce sont des qualités certaines. Mais n'oublions pas que ce que les libéraux cherchent, c'est un chef qui deviendra premier ministre d'un pays membre du G7, pas un finaliste aux Oscars. Les qualités de Justin sont à mille lieues de celles de son père, sauf pour le souci vestimentaire. Pierre Trudeau était agressif, abrasif, désagréable à l'occasion, et il s'imposait par ses idées et par l'originalité de sa pensée. Ce n'est pas à ce chapitre que Justin s'est distingué. Son discours de mise en candidature, plein d'élans généreux, ne fait rien pour changer cette perception.

Il faut évidemment laisser sa chance au coureur. Mais on peut quand même noter que si Justin Trudeau pouvait s'imposer par ses idées et par sa pensée, on devrait déjà le savoir. À cause de son charme juvénile, on oublie qu'il n'est plus un jeune garçon. 40 ans, c'est un âge où, en général, on a eu le temps de s'affirmer. Jean Charest était vice-premier ministre du Canada à 35 ans et Pauline Marois ministre à 32 ans.

Justin Trudeau qui, dans cette histoire, est jusqu'à un certain point une victime. Il a été littéralement poussé vers cette candidature. Depuis des mois, l'idée qu'il puisse diriger le PLC a fait couler des hectolitres d'encre, surtout au Canada anglais. C'est ce phénomène qui mérite d'être analysé.

Derrière Justin, il y a une vieille garde libérale, trudeauiste, qui espère, avec cette candidature, jouer sur la nostalgie et retrouver la grandeur perdue du Parti libéral. Sans oublier un calcul plus cynique sur la capacité du jeune Trudeau d'aller récupérer les voix libérales qui se sont éparpillées.

Cette stratégie du désespoir se nourrit certainement d'une tentation dynastique présente au Canada, la version canadienne du culte des Kennedy, qui n'a rien de bien sain en démocratie, mais qui comporte un message. L'attrait qu'exerce Justin Trudeau reflète la grande nostalgie de bien des Canadiens pour Pierre Trudeau, mais surtout pour la grandeur perdue de ce pays, de la période où le Canada, dirigé par un premier ministre respecté à travers le monde, s'imposait par sa vision et son audace.

L'engouement possible pour Justin Trudeau comporte un danger pour les libéraux, si cela a pour effet d'écarter d'autres candidatures prometteuses, et que celui-ci soit couronné sans avoir être testé, sans avoir été forcé de se définir. Le PLC risquerait de devenir une institution gonflée à l'hélium, ou plutôt, au protoxyde d'azote.