On pouvait se demander jusqu'à quel point le virage que Mme Marois avait imposé à son parti se concrétiserait dans l'action. Nous avons maintenant la réponse avec le cabinet dont elle a dévoilé la composition mercredi. La nouvelle première ministre entend diriger un gouvernement de gauche, sans doute le plus à gauche que le Québec ait connu.

Le fait que le gouvernement soit à gauche n'est pas une mauvaise chose, si on réussit à concilier les objectifs sociaux et les objectifs de développement. Mais le choix des titulaires des portefeuilles et les mandats qui leur ont été confiés ne font rien pour dissiper les inquiétudes sur la capacité et la volonté du nouveau gouvernement de contribuer au succès économique du Québec.

Car ce virage à gauche a une particularité troublante. Dans nos sociétés, les gouvernements qui ont le coeur à gauche ont tendance à mettre leurs énergies dans les politiques sociales, tout en privilégiant, pour faire contrepoids, des stratégies de développement économique plus traditionnelles, comme le PQ l'a fait avec ses poids lourds économiques qu'étaient les Parizeau, Landry ou Legault.

Avec le gouvernement Marois, c'est l'inverse. Pas de révolution dans les dossiers de l'éducation, de la santé ou de la solidarité, où on annonce plutôt une continuité améliorée. C'est du côté économique qu'on expérimente.

Ça commence par la nomination de Nicolas Marceau, non seulement aux Finances, mais à la tête de tout le développement économique. Ce concept de superministre de l'économie est intéressant si on a la personne pour le combler. M. Marceau, un économiste intelligent, pourra certainement, avec Stéphane Bédard au Trésor, éliminer le déficit. Je n'ai aucune espèce d'inquiétude à ce chapitre.

Mais sans expérience politique, M. Marceau aura du mal à jouer le rôle qu'on lui confie. Il ne s'est pas imposé comme porte-parole dans l'opposition. Il n'a pas été à même de formuler une vision du développement économique. Je ne vois pas comment il pourrait devenir un poids lourd au gouvernement, capable de défendre les dossiers économiques au sein d'une équipe peu portée sur la chose.

Son expérience universitaire ne le prépare pas non plus à la lourde responsabilité d'être le seul lien de son gouvernement avec le monde de l'entreprise, d'autant plus qu'un de ses premiers mandats sera de leur imposer une fiscalité punitive.

Il est vrai que certaines responsabilités économiques seront partagées avec d'autres. Par exemple, Élaine Zakaïb, si son statut limité de ministre déléguée lui permet d'agir. Pierre Duchesne, à l'Enseignement supérieur, s'occupera aussi de la recherche et de l'innovation, une bonne idée en soi, si le sommet sur les universités lui en laisse le temps.

Jean-François Lisée, aux Relations internationales, un mandat sur mesure pour lui, s'occupera aussi de commerce international. Il y a quelque chose de surréaliste à voir celui qui voulait mettre la droite knock-out, qui n'a pas cessé de pourfendre nos 1% les plus riches, piloter des missions de gens d'affaires ou de convaincre des étrangers d'investir ici.

Martine Ouellet, enfin, sera aux Ressources naturelles, en tandem avec Daniel Breton à l'Environnement, un militant particulièrement abrasif. On ne voit pas comment Mme Ouellet, elle aussi une verte, issue de la mouvance radicale du SPQ Libre, pourra assurer l'équilibre entre les objectifs du développement et les impératifs environnementaux. Ses mandats - mise au pas des minières, fermeture de Gentilly-2, moratoire sur les gaz de schiste -, n'annoncent pas un préjugé favorable au développement.

«Rien ne s'oppose à ce que le peuple québécois soit parmi les plus prospères de la planète», a déclaré la première ministre. Mais on ne voit pas, dans ces premiers gestes, ce qui permettrait d'atteindre ce noble objectif.