Daniel Audet est mort à 51 ans. Dans le monde de la politique et de l'économie, c'était certainement l'un des plus brillants de sa génération. Avec son intelligence, son talent, son énergie, tout était possible pour lui, jusqu'à ce que la maladie, un cancer du cerveau, freine son élan.

Sa feuille de route a été impressionnante. Chef de cabinet de Bernard Landry, délégué général du Québec à Londres, vice-président chez Vidéotron, conseiller d'André Boisclair lorsqu'il était chef du Parti québécois, premier vice-président du Conseil du patronat. Il a aussi signé des chroniques dans le Journal de Montréal, tant que la maladie qu'il combattait avec détermination ne l'a pas empêché de le faire.

C'était un ami, un de ceux à qui j'avais dédié mon essai À mes amis souverainistes. Pendant des années, nous avons eu des échanges, des discussions enflammées, qui m'ont aidé dans mes réflexions et mes écrits. La complicité que nous avions développée, à une époque où le débat autour de la question nationale était pourtant plus intense, montrait qu'il était possible de se parler et de travailler ensemble.

Ce qui distinguait Daniel, sur le plan des idées, c'est qu'il était à droite dans une famille politique où le coeur est plutôt de l'autre côté. Soyons plus précis, ce qui est nécessaire dans un monde où on est peu porté sur les nuances. Disons qu'il était pas mal à droite sur les questions économiques, et plutôt à gauche sur les libertés individuelles et les débats sociaux. Il s'est lui-même défini comme un «libertarien pragmatique de gauche».

Au plan économique, c'était en quelque sorte un vrai néolibéral, une espèce plutôt rare au Québec. C'est de cela que je voudrais parler dans les lignes qui suivent, que je lui dédie. Le terme néolibéral est galvaudé. C'est devenu, au Québec, un terme fourre-tout aux fortes connotations péjoratives, qui sert surtout à insulter et à stigmatiser.

Par exemple, une manchette assez sotte du Devoir, qui proclamait, il y a quelques semaines: «Ras le bol des idées néolibérales.» Nos amuseurs publics, lundi, dans un spectacle de soutien aux étudiants, ont multiplié les dénonciations des néolibéraux, à commencer par Jean Charest. De quoi parlent-ils, au juste?

Je ne veux pas défendre Jean Charest, surtout pas dans une chronique dédiée à Daniel. On peut trouver une foule de qualificatifs peu élogieux pour décrire notre impopulaire premier ministre, mais pas celui-là.

Le terme de néolibéralisme a un sens précis. Un courant de pensée qui prône le retour aux idées libérales, dans le sens originel du terme - moins d'État, forces du marché, initiative individuelle - par opposition aux théories dominantes de l'après-guerre, inspirées par le keynésianisme et le développement de l'État-providence.

On a vu cette doctrine en action, dans le Royaume-Uni de Margaret Thatcher ou, aux États-Unis, chez les républicains depuis Ronald Reagan. Au Canada, les conservateurs de Stephen Harper en proposent une version très édulcorée. Au Québec, ça n'existe à peu près pas.

Il est en effet difficile de qualifier de néolibéral un gouvernement qui a augmenté la dette avec des travaux publics, d'infrastructures, dont le développement du Nord repose largement sur une société d'État, Hydro-Québec, dont les dépenses de santé augmentent de 5% par année. Ce n'est vraiment pas ça, le néolibéralisme.

La pensée dominante au Québec repose bien davantage sur le conservatisme fiscal, notamment le principe du déficit zéro et la relative austérité qui vient avec. Mais c'est une doctrine qui est partagée par les trois principaux partis politiques.

Pourquoi parler de cela? Parce que les mots ont un sens. Que les doctrines ont une cohérence. Que les faits ont leur place dans les débats publics. Des choses auxquelles Daniel Audet croyait.