C'est une évidence que le mouvement social qui perturbe le Québec a largement dépassé l'enjeu initial des droits de scolarité. Mais pourquoi le conflit étudiant s'est-il élargi?

Le terrain était sans doute mûr. Un écoeurement global à l'égard de la politique, la grande impopularité du gouvernement Charest qui, de surcroît, a très mal géré cette crise, l'existence de certaines causes persistantes, comme les gaz de schiste, un malaise diffus face aux politiques d'austérité.

Mais cet élargissement du conflit n'aurait sans doute pas eu lieu s'il n'y avait pas eu des gens qui travaillaient à l'élargir. Si des forces n'avaient pas soutenu le mouvement étudiant, pas seulement par altruisme, mais aussi pour faire avancer leur propre cause. Si on ne s'était pas servi des étudiants comme chair à canon.

Cet appui, il est venu, on le sait, du mouvement syndical, qui a fourni des moyens financiers, de l'encadrement. Il est venu aussi du Parti québécois, dont les députés portent toujours le carré rouge avec fierté. Ce soutien a donné une caution morale au mouvement étudiant, lui a donné un souffle, a donné à ses leaders une confiance qu'ils n'auraient pas eu s'ils avaient été seuls au front.

Ce n'est ni étonnant ni choquant de la part des centrales syndicales.

C'était dans la logique des choses. Car les centrales défendent les acquis du filet de sécurité sociale québécois, s'opposent à la dynamique d'austérité dont ils sont souvent les premières victimes.

Par contre, l'appui du Parti québécois et de Pauline Marois est proprement scandaleux. Pas parce qu'ont sent derrière le calcul politique, - le désir d'aller chercher des voix étudiantes, de contribuer à l'embarras du gouvernement. On peut difficilement reprocher à un parti politique d'agir de façon électoraliste. Les libéraux, dans ce dossier, ne se sont pas gênés.

Mais même dans l'opportunisme, un parti doit faire preuve d'un minimum de cohérence avec son passé et avec son avenir. Le PQ, c'est le parti de l'austérité et du déficit zéro. Et c'est le parti qui veut gouverner le Québec.

En portant le carré rouge, Mme Marois n'appuyait pas seulement une revendication légitime. Elle ne pouvait pas faire abstraction du fait qu'elle apportait sa caution morale à tout le reste, qui se réclame aussi du carré rouge - la CLASSE, les débordements des manifestations, le défi des injonctions, le harcèlement des étudiants qui voulaient étudier.

Mais plus encore, dans ce conflit, on a assisté à une dynamique qui remettait en cause la légitimité de l'État, l'autorité du gouvernement, les décisions de l'Assemblée nationale. Une dynamique voulant que la rue décide. L'opposition officielle - et c'est inacceptable - a encouragé et appuyé une dynamique qui a mené à une crise sociale qui glorifie le pouvoir de la rue.

Dans ce conflit, le gouvernement libéral a plein de torts. Mais il n'est pas mauvais de dire que le Parti québécois est lui aussi, en partie, responsable de la crise et qu'il a contribué à son amplification. Et quand Mme Marois reproche, le trémolo dans la voix, au gouvernement de ne rien faire pour apaiser la crise sociale, elle me fait penser à un pyromane qui dénonce la lenteur d'intervention de pompiers.

Mme Marois a fait, dans ce dossier, une grave erreur de jugement. Mais elle a peut-être aussi fait une terrible erreur de calcul, en choisissant, par opportunisme, le mauvais camp. Parce que derrière l'agitation de la rue, il y a une autre force, celle de la majorité silencieuse, plus précisément, dans ce dossier, la majorité muselée, beaucoup plus proche des positions gouvernementales. Peut-être que Mme Marois, après avoir été bercée par le bruit des casseroles, découvrira la redoutable puissance du boomerang.