À l'heure actuelle, le mot le plus populaire dans le vocabulaire québécois, c'est probablement moratoire. On en réclame partout. Pour les gaz de schiste, pour le pétrole, pour l'uranium, pour les compteurs intelligents. Et maintenant, c'était inévitable, pour la hausse des droits de scolarité. À un tel point qu'il faudrait trouver un terme pour décrire ses partisans. Des «moratoriens» ? Des «moratoristes» ? Appelons-les des «momos»!

J'ai tendance à voir cette prolifération moratorienne comme une manifestation de l'inertie de la société québécoise, car la notion de moratoire comporte à la fois un élément de refus et un élément de remise des choix à plus tard. D'autant plus, qu'on observe un glissement de sens. Les moratoires, que l'on veut permanents plutôt que temporaires, sont devenus une façon de dire non.

On le voit encore une fois avec le conflit étudiant. Les gens qui réclament maintenant un moratoire proviennent essentiellement des milieux qui appuyaient les étudiants depuis le début, comme les centrales syndicales, et qui étaient de toute façon opposés aux hausses. Venant d'eux, le moratoire est une sorte de plan B. À défaut d'éliminer les hausses, on essaie de les suspendre.

À cela s'ajoute une autre considération. Les «momos» font en général partie de courants politiques qui s'opposent au gouvernement Charest. Ce qu'ils demandent en fait aux libéraux, c'est de sursoir à leur mesure jusqu'à des élections qui les chasseraient du pouvoir. Car une victoire du Parti québécois mettrait fin au débat, comme le montrent les carrés rouges que ses représentants arborent fièrement au poitrail.

Ce raisonnement repose sur une définition inédite du mandat électoral, qui consiste en fait à demander à un gouvernement élu de mettre son programme de côté pour mieux laisser faire son éventuel successeur.

L'idée de moratoire a pu surgir parce que le conflit étudiant a mené à une situation de crise et à une radicalisation ponctuée de gestes de violence. Tout le monde s'entend sur la nécessité de mettre fin à la crise. Les «momos» se distinguent en estimant que le seul dénouement possible est un recul du gouvernement.

Cette logique a été poussée jusqu'au bout par les carrés blancs, des parents qui estiment que les manifestations font courir des risques aux jeunes, et qui demandent donc au gouvernement de décréter un armistice - une autre façon de dire un abandon de la hausse - parce qu'on ne peut pas demander aux étudiants de cesser les manifestions. Pourquoi ne rien demander aux étudiants?

Ce raisonnement est malsain, d'abord parce qu'il cautionne la désobéissance civile et les débordements et qu'il enverrait le message que la violence rapporte. Mais surtout, parce qu'il repose sur une conception perverse de la démocratie.

Nous avons, d'un côté, un gouvernement élu. Il a proposé une hausse des droits dans un budget voté par l'Assemblée nationale. La mesure est appuyée par 68% de la population, soit 3,9 millions d'électeurs, tandis que 1,8 million de citoyens s'y opposent.

Et de l'autre côté? 450 000 élèves de cégeps et étudiants d'universités en général opposés à la hausse. Mais 300 000 d'entre eux n'ont pas estimé que l'enjeu justifiait qu'ils cessent d'étudier. 150 000 étudiants, à peine le tiers du total, sont en grève, dont un bon nombre malgré eux. Et de ce nombre, quelques milliers ont choisi la radicalisation.

Qui décide, au Québec? Quelques milliers de jeunes, ou 3,9 millions de personnes derrière le gouvernement? Il y a là une disproportion qui défie la logique. Appelons cela le principe de la pyramide inversée. Cela me fait dire que le moratoire n'incarne pas une forme supérieure de la démocratie, il consacre plutôt la dictature de la minorité.