Les Québécois sont très largement en faveur de la position du gouvernement libéral dans le conflit étudiant, dans une proportion de 68%, nous apprend le sondage CROP-La Presse. Comment se fait-il alors que la crise persiste, que le mouvement d'opposition poursuive sur sa lancée, que le gouvernement soit dénoncé avec tant de vigueur?

Parce que les débats publics, au Québec, se gagnent à gauche. Le Québécois moyen est plutôt centriste, comme le montrent ses habitudes électorales, et ce sondage CROP. Mais la culture publique, le discours dominant - celui des médias, des intellectuels, des artistes - sont plutôt inspirés par la culture de gauche.

En oubliant cela, le gouvernement libéral a commis une erreur stratégique dans ce dossier, qui explique en grande partie l'ampleur du mouvement d'opposition. Et c'est de ne pas s'être préparé adéquatement à la bataille idéologique qui l'attendait, et d'avoir ainsi laissé se créer une large coalition qui a amplifié la crise et rendue difficile la recherche d'une solution. Il a gagné la bataille des sondages, mais paradoxalement, il a perdu celle du débat public.

Il fallait que le gouvernement libéral puisse remporter cette bataille, qu'on peut appeler gauche-droite, faute de mieux, ou de lucides vs solidaires, pour que son initiative ait toute la légitimité dont elle a besoin.

Il était prévisible que la hausse des droits de scolarité allait déclencher une bataille épique. Parce que les étudiants, depuis presque 50 ans, se sont mobilisés sur cette question. Et surtout, parce que le gel des droits, et la quasi-gratuité qu'il permet, sont perçus comme un élément du modèle québécois et revêtent une valeur de symbole. Le premier ministre Charest et son ministre des Finances Raymond Bachand savaient très bien qu'ils s'attaquaient à une vache sacrée.

On a vu la réaction. La force du mouvement étudiant tient à la vigueur des jeunes qui l'animent, mais beaucoup aussi aux appuis dont il a bénéficié, de tous ceux qui veulent préserver leur conception de la Révolution tranquille - mouvance de gauche, centrales syndicales, monde culturel. Ils croient incarner le germe d'un printemps québécois. J'y vois plutôt la sainte alliance du statu quo et du culte des droits acquis.

Cette opposition est minoritaire, et le parti qui a choisi le carré rouge, le PQ, perd des plumes. Mais un gouvernement qui propose un projet que l'on peut associer à la droite, à tort ou à raison, devra développer un argumentaire qui le rende acceptable dans un cadre de référence de la social-démocratie s'il veut assurer son acceptabilité sociale. C'est ce que Lucien Bouchard et son ministre Bernard Landry ont réussi pour faire accepter le déficit zéro, ou encore le tandem Chrétien-Martin à Ottawa.

Le dossier des droits de scolarité permettait cette approche, parce que ce n'est pas une mesure de droite. Le gouvernement libéral disposait d'arguments solides, d'avis, d'études pour tuer dans l'oeuf le discours des opposants. Il pouvait démontrer que les frais ne constituent pas un facteur significatif pour favoriser l'accessibilité et pour réduire la sous-représentation des milieux défavorisés. Il pouvait surtout rappeler que le système actuel n'est ni progressiste ni progressif, et que le gel perpétue une forme viciée de social-démocratie qui favorise les classes aisées. Que son approche, loin d'être injuste, fait davantage pour les pauvres. Que sa réforme donnait un élan à l'université dont la jeunesse était la grande bénéficiaire.

Mais Jean Charest n'est pas à l'aise sur ce terrain qui n'est pas le sien. La ministre Line Beauchamp n'a pas l'agilité intellectuelle nécessaire. Et c'est ainsi que le gouvernement libéral a laissé complètement aux opposants le terrain du bien commun, de la noblesse des sentiments et d'un parti-pris pour la jeunesse. Et que la crise a pris une ampleur qu'elle n'aurait jamais dû connaître.