Il y a quelque chose d'historique dans le budget que le ministre des Finances Jim Flaherty a présenté hier. C'était son septième budget, mais le premier budget d'un gouvernement Harper majoritaire, et donc le premier vrai budget conservateur.

Le gouvernement Harper a toujours dit que la meilleure façon de soutenir le développement économique, c'était de réduire le nombre d'emplois et la taille de l'État. Dans ce budget, il passe à l'acte, en s'attaquant aux dépenses.

Bien sûr, ce budget, que les conservateurs ont rebaptisé en «Plan d'action économique», parle d'autres choses: une vaste politique d'innovation, un plan prudent de report de la retraite à 67 ans, et ne l'oublions pas, l'abolition de la pièce d'un sou!

Mais ce budget laisse mal à l'aise, pour deux raisons. D'abord, si la réduction des dépenses se justifie par l'importance d'éliminer un déficit qui a explosé pendant la récession, le budget ne démontre pas de façon convaincante que ces compressions, et leur échéancier, sont nécessaires pour revenir à l'équilibre budgétaire.

Ensuite, si le budget précise l'ampleur des compressions des organismes et des ministères, on n'en connaît pas la nature. Ce sont les ministères qui annonceront leurs initiatives au fil des mois. Comment peut-on juger un budget de compressions si on ne sait pas ce qu'elles sont?

Il est vrai que le gouvernement Harper avait tout un défi à relever. À cause de la récession, le déficit fédéral dépassait 40 milliards en 2009 et 30 milliards en 2010. Le ministre Flaherty avait promis de l'éliminer en quatre ans, soit en 2015.

Pour y parvenir, le ministre Flaherty s'était engagé à ne pas toucher aux impôts. Cela lui laissait deux avenues, la hausse naturelle des revenus fiscaux nourrie par la croissance économique, et les compressions de dépenses.

Du côté des revenus, sa tâche est simplifiée par la récente embellie économique. Le déficit de l'année qui se termine est plus bas que prévu, à 21,1 milliards au lieu de 27,4. Et ça baissera aussi plus vite que prévu dans les années à venir. Mais comme Ottawa, depuis deux décennies, a tendance à sous-estimer ses revenus futurs, on peut prévoir que la lutte au déficit dans les années à venir sera relativement facile.

Cela devrait, en principe, réduire sensiblement la pression du côté des dépenses. Mais le ministre Flaherty a maintenu des objectifs ambitieux de compressions, soit un effort de 5,2 milliards. Ça peut sembler peu, sur des dépenses de 276 milliards. Mais comme les conservateurs ont promis de ne pas toucher aux transferts aux personnes, ni aux transferts aux provinces, tout l'effort repose sur le tiers des dépenses fédérales.

En fait, il s'agit de couper 5,2 milliards sur des dépenses de 75 milliards. C'est énorme. Des réductions moyennes de 7,1%. Par comparaison, les gouvernements québécois et ontariens, malgré leurs budgets musclés, ne réduisent pas les dépenses, ils se contentent de ralentir leur croissance.

C'est une bonne chose qu'un gouvernement passe en revue ses programmes de façon impitoyable. Mais il est clair que les coupes conservatrices auront des conséquences. Elles éliminent 19 200 postes, elles affecteront des services, elles auront un impact économique négatif, surtout pour le Québec et l'Ontario, où se concentre la fonction publique fédérale. Souvenons-nous que même les agences de crédit avaient suggéré à Ottawa de mettre la pédale douce sur sa lutte au déficit.

On en revient à une chose, et c'est que la récession sert de levier pour permettre au gouvernement conservateur d'imposer une autre vision de l'État fédéral, la sienne. Cela mérite un débat. Mais ce débat sera impossible tant qu'on ne saura pas avec précision là où tombera le couperet conservateur.