Comme aux présidentielles précédentes, le président Nicolas Sarkozy, que les sondages ne voient pas vainqueur au second tour, a cédé à la tentation d'exploiter des thèmes qui pourraient lui permettre de séduire l'électorat d'extrême droite du Front national.

Il y a deux semaines, M. Sarkozy a relancé un thème cher à la candidate du FN, Marine Le Pen, celui de la viande halal - repris ici indécemment au Québec par le PQ. Il a ensuite joué sur le thème de l'immigration, pour enfin promettre de resserrer les frontières de la France.

«Nous avons trop d'étrangers sur notre territoire», a-t-il lancé dans une entrevue télévisée, reprenant le vocabulaire du Front national. «Étranger» est un mot lourd de sens, porteur d'exclusion. «Notre territoire» évoque le thème d'une terre à défendre, qui projette l'image d'une France assiégée. Quelques jours plus tard, il menaçait de se retirer du traité de Schengen, qui porte sur la libre circulation des personnes et des biens en Europe.

Vu de ce côté-ci de l'Atlantique, il n'y a pas que les mots qui avaient de quoi étonner, mais aussi les chiffres. M. Sarkozy a promis, dans un deuxième mandat, de «diviser par deux le nombre de gens que nous accueillons, c'est-à-dire passer de 180 000 à autour de 100 000».

La France a-t-elle vraiment trop d'étrangers, assez pour justifier un coup de barre et pour se sentir assiégée? Il y a 2,9 millions d'immigrants en France sur 65 millions d'habitants, soit 4,5% de la population. Au Canada, la proportion d'immigrants est de 23-24%, sans que le pays s'effondre.

Le Canada, avec une population presque deux fois plus petite que celle de la France (35 millions contre 65 millions), accueillait, en 2011, pas moins de 280 636 immigrants, un record. Ce taux d'immigration est en fait trois fois plus élevé que celui de la France. Et si M. Sarkozy l'emportait et s'il tenait sa promesse, dans cinq ans, le taux d'immigration serait 5,2 fois plus faible en France qu'au Canada.

Le Québec qui, en principe, est plus proche de la France sur ces questions, et qui n'embrasse pas avec autant de passion l'idéal canadien du multiculturalisme, reçoit environ 56 000 immigrants par année. Ce n'est pas autant que le reste du Canada, en bonne partie pour des raisons de géographie et d'attractivité économique. Mais il n'en reste pas moins que nous accueillons, chaque année, en proportion, 2,5 fois plus d'immigrants qu'en France.

Et il n'y a pas de grand débat là-dessus. Le gouvernement conservateur, à droite dans bien des dossiers, est très fier que le Canada batte des records d'immigration. Au Québec, la CAQ de François Legault souhaite ramener le nombre de nouveaux venus de 55 000 à 45 000, mais sans la charge émotive qu'y met le président Sarkozy.

Pourquoi ce qui semble parfaitement normal aux Canadiens et aux Québécois fait-il paniquer certains Français? La différence ne tient certainement pas à notre géographie et à nos grands espaces. Les immigrants ne vont pas au Nunavut, mais se concentrent dans les grands centres urbains.

La différence dans les attitudes s'explique plutôt par notre histoire, celle d'un pays fondé sur l'immigration. Elle tient aussi au contexte de l'immigration. La France, contrairement au Canada, n'est pas protégée par des océans. La diversité des sources d'immigration au Canada atténue le sentiment de menace de la société d'accueil. Le passé colonial de la France colore les rapports avec certains immigrants.

Le problème, ce n'est pas que 180 000 immigrants, c'est trop, mais plutôt que l'intégration des immigrants en France a été un triste échec. Et que l'économie française ne crée par assez d'emplois. Voilà deux bons thèmes pour une campagne présidentielle.