Le fait que le gouvernement Harper ait choisi d'organiser de petites fêtes pour célébrer l'adoption de la loi qui éliminera le registre des armes d'épaules a scandalisé les milieux progressistes d'un océan à l'autre.

Ma collègue et amie Marie-Claude Lortie a même écrit, avec un joli sens de la formule, que les conservateurs dansaient sur les tombes. Cela illustre la charge émotive et le poids symbolique qu'a revêtu cette affaire dans le débat public canadien.

Voilà un dossier où il ne serait pas mauvais d'être un peu moins militant et un peu plus analytique, pour mieux comprendre le Canada, sa dynamique politique, et la culture de son gouvernement conservateur majoritaire.

Quand les conservateurs ont célébré, mercredi soir, ils ne voulaient évidemment pas danser sur les tombes de qui que ce soit. Ils dansaient plutôt sur leur tracteur ou sur leur VTT. Car dans un véritable dialogue de sourds, adversaires et partisans du registre ne parlaient pas de la même chose.

Les conservateurs y voyaient un symbole de l'aliénation de l'Ouest et du monde rural qui se voit imposé un mode de vie par des bureaucrates d'Ottawa et des urbains de gauche. Ils n'acceptaient pas que des agriculteurs ou des chasseurs soient soumis à un régime qui repose sur le soupçon. Avec une pointe de valeurs républicaines sur les libertés individuelles et les droits reliés aux armes.

L'appui au registre repose lui aussi sur des symboles. Cette idée est née après la tragédie de Polytechnique, comme un geste pour conjurer l'horreur. Il comporte lui aussi des éléments irrationnels en ce sens que si ce registre constitue un bon outil de sécurité publique, il n'est d'aucune espèce d'utilité pour nous protéger contre d'autres horreurs comme Poly. Cette bataille comportait aussi un élément de gestion du deuil, pas différent de la démarche, de l'autre côté de la barrière, du sénateur Pierre-Hugues Boisvenu.

Ce qui est troublant dans les célébrations conservatrices, c'est plutôt la petitesse d'un gouvernement qui se définit par des enjeux somme toute assez mineurs. Et la façon dont ce dossier à été mené: étroitesse idéologique, absence de cohérence - une mesure qui va à l'encontre du voeu des amis de la loi et de l'ordre que sont les chefs de police - et le refus des arguments faisant appel à l'intelligence.

Ce refus de l'intelligence, on l'a vu à l'oeuvre dans une foule de dossiers, que ce soit autour du questionnaire long du recensement, ou cette semaine, quand le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, a dit à ceux qui s'inquiétaient de la portée du projet de loi C-30 sur les cyber-prédateurs qu'ils étaient du côté des pédophiles, reprenant la rhétorique la plus primaire de la droite républicaine. Ou encore à la façon dont le premier ministre laisse le sénateur Boisvenu débiter ses âneries.

Contrairement à ce que l'on croit, cette façon de laisser la rigidité idéologique prendre le pas sur la raison, on la retrouve aussi dans les dossiers économiques. Par exemple, l'incroyable bêtise d'avoir baissé la TPS. Et sans doute, la façon dont le prochain budget s'attaquera au déficit.

Où est-ce que cela nous mènera? Pour certains, les conservateurs sont là pour longtemps, parce que, dans le paysage politique actuel, tout indique qu'ils obtiendront encore un autre mandat, et qu'ils pourraient ainsi garder le pouvoir jusqu'en 2019.

Il y a peut-être une autre façon de voir les choses. Stephen Harper est premier ministre depuis 2006. Sa victoire du printemps dernier était sa troisième. À la fin de ce mandat, il aura été au pouvoir depuis 9 ou 10 ans. Peut-être est-ce un règne assez long pour que les forces de l'alternance puissent agir...