Un jour, une municipalité qui voudra naïvement installer des plates-bandes de fleurs dans un parc devra reculer devant les groupes de pression s'opposant au projet, que ce soient des partisans d'un aménagement paysager plus sauvage, des gens allergiques aux piqures d'abeilles ou une association d'«olfactosensibles» que les parfums floraux pourraient incommoder.

C'est à peine une blague. Il n'est plus possible de prendre une décision ou de lancer un projet sans que quelqu'un, quelque part, s'y oppose, et sans que cette opposition fasse boule de neige.

Le dernier de ces combats, c'est le mouvement d'opposition aux compteurs intelligents d'Hydro-Québec. Pour l'instant, nous en sommes au stade des projets-pilotes, mais la société d'État prévoit en installer 3,8 millions dans les demeures du Québec. Certains craignent que les ondes radio émises par ces compteurs ne soient nocives. Et comme il se doit, on se retrouve avec une pétition à l'Assemblée nationale. Elle réclame quoi? Un moratoire. Un autre.

Je ne me prononcerai pas sur le fond de la question. Depuis longtemps, il y a un débat sur l'impact des radiofréquences. Ce danger n'a pas été démontré, mais la question suscite des inquiétudes. Par contre, on sait que ce genre de compteurs existe à travers le monde, que le projet sera soumis à un organisme règlementaire, la Régie de l'énergie, que les émissions de ces compteurs, très brèves, respectent très largement les normes gouvernementales. Mais il y aura toujours un doute, des guerres de chiffres. Et il y aura toujours un spécialiste pour dire que ces ondes sont dangereuses. Et s'il n'y en a pas ici, on trouvera un physicien à la retraite en Nouvelle-Zélande ou ailleurs.

C'est plutôt la dynamique de ces débats qui m'intéresse. Dans ce cas-ci, l'inquiétude de certains quant aux risques pour la santé est ensuite nourrie par la perte de confiance envers les institutions. Il repose aussi sur une méfiance envers la science et les nouvelles technologies, qui s'explique par le fait qu'on a commis bien des erreurs au nom du savoir scientifique.

C'est là qu'intervient l'amplification des médias, qui auront souvent tendance à appuyer ces causes, par sympathie pour les petits contre les grands, parce que les opposants sont en général plus médiatiques que les institutions ou les entreprises qu'ils dénoncent.

On peut ajouter une petite touche d'incohérence. Cette bataille contre les compteurs intelligents se fait au nom de l'environnement. Mais les compteurs visent aussi un objectif environnemental. Ils fournissent une mesure très fine de la consommation qui, à terme, permettra de moduler celle-ci, de proposer des tarifs variables, ce qui favorisera l'économie et la meilleure utilisation de l'énergie. Un objectif éminemment souhaitable.

En fin de compte, bien des débats publics sont déséquilibrés. Les décisions collectives ne font à peu près jamais l'unanimité absolue. Chaque initiative, aussi bonne soit-elle, peut faire des victimes, des mécontents, susciter des désaccords. Cela force les décideurs à faire des arbitrages, par exemple en reflétant la volonté de la majorité, ou encore les exigences du bien commun.

Presque toujours, il faut tenir compte des avantages et des inconvénients. On fait un choix quand les «pour» l'emportent clairement sur les «contre». C'est cet exercice qui devient difficile, parce que les «contre» ont souvent un poids disproportionné dans les débats publics, parce que les arguments «pour» sont noyés.

Cela nous mène tout droit à une logique de moratoire. Pas de compteurs intelligents, pas de Plan Nord, pas de développement du gaz ou du pétrole. Et en fin de compte, pas d'emplois pour nos chômeurs et pas de ressources pour nos enfants, nos malades, nos retraités.