La véritable épidémie de changement d'allégeance qui frappe l'Assemblée nationale a suscité une réflexion sur la loyauté des députés et sur leurs responsabilités des députés à l'égard de ceux qui les ont élus.

Ces réflexions éthiques méritent tout à fait d'être posées. Mais on ne peut traiter de ces enjeux en faisant abstraction du contexte politique précis dans lequel tout cela se produit. Les démissions, les défections, les changements de camp ne sont pas le fruit du hasard, ni le symptôme d'un effondrement soudain des valeurs d'engagement de nos politiciens.

Le Québec est au coeur d'un processus de transformation profond de sa géographie politique. Les enjeux changent, les partis politiques sont bousculés. Le jeu de chaises musicales actuel en est une conséquence normale, inévitable - et même souhaitable - où des députés tentent de s'adapter et se redéfinir dans un contexte nouveau.

Trois choses se sont produites dans la vie politique québécoise depuis quelques années. D'abord, et c'est le phénomène le plus important, à la portée historique, c'est la baisse d'appui à la souveraineté et la très faible plausibilité d'une éventuelle victoire de cette option. Ensuite, l'agonie de l'ADQ, prévisible depuis les dernières élections. Enfin, un troisième phénomène, nourri par les deux premiers, la naissance d'un nouveau parti, la Coalition avenir Québec qui, de surcroit, a le vent dans les voiles.

L'impasse du projet souverainiste a forcé les partisans de ce projet à faire le point sur leur engagement politique. Cet exercice, douloureux, a donné lieu à trois stratégies. La première, celle de Pauline Marois et de ceux qui lui sont restés fidèles, c'est de garder vaillamment le cap, mais en repoussant les échéanciers. La seconde, c'est au contraire de vouloir redonner vie au projet en le défendant avec plus d'intensité, comme l'on fait quatre députés péquistes démissionnaires, comme Pierre Curzi et Louise Beaudoin.

La troisième stratégie, c'est de mettre la souveraineté de côté pour arrêter de tourner en rond et pour travailler à autre chose, comme l'a fait François Legault et ceux qui l'ont rejoint à la CAQ, notamment François Rebello. Un exercice difficile, qui comporte une part de deuil, où les anciens souverainistes doivent renoncer à leur idéal sans renier leur passé et sans perdre la face.

Je comprends que les souverainistes dénoncent leurs anciens compagnons pour avoir abandonné la cause. Je comprends moins les fédéralistes qui les accusent de duplicité, qui les soupçonnent d'un agenda caché. Ceux qui croient que ce débat nous paralysaient, et j'en suis, devraient au contraire se réjouir. Et d'avoir un peu d'indulgence pour ceux qui se sont engagés dans cette métamorphose.

Quant à l'ADQ, ses jours étaient comptés, depuis son dernier échec électoral et le départ de Mario Dumont. Rapidement, le parti a éclaté, des députés ont choisi de devenir indépendants. C'était soit la disparition, soit la fusion, quand la CAQ, qui nage un peu dans les mêmes eaux, a pris son envol.

Quand l'échiquier politique se transforme, les politiciens rejoignent d'autres partis, forgent des alliances, changent de camp, les nouveaux partis se forment sur les cendres des anciens. René Lévesque a été libéral, Lucien Bouchard et Jean Charest ont été conservateurs, le PQ a été formé par des libéraux, des rinistes et des créditistes, les conservateurs fédéraux sont le produit d'une fusion PCC-Reform, l'ADQ est né d'une scission du PLQ.

Qu'est ce qu'on aurait voulu? Que personne ne change, qu'aucun député ne bouge, et que notre vie politique reste figée dans le temps, coupée des gens? On n'aime pas que nos politiciens soient dogmatiques, on leur reproche de ne pas être à l'écoute, mais on les accuse d'opportunisme s'ils tentent de refléter la volonté populaire.