La nomination d'un entraîneur-chef unilingue anglophone pour le Canadien a suscité une réaction unanime au Québec. Elle transcende les habituelles barrières politiques. Les francophones ont été blessés par ce choix qui trahit un manque de respect. Mais cette décision n'est pas seulement inélégante. Elle est également stupide.

Politiciens et commentateurs ont tous souligné le fait que le Canadien est une institution centenaire. Sans jamais avoir été francophone, ce club a joué un rôle dans l'histoire du Québec et il occupe une place particulière dans le coeur des Canadiens français. Parce que le Canadien fait partie du patrimoine, qu'il est enraciné dans la culture québécoise, ses dirigeants ont l'obligation morale de respecter l'espace francophone.

L'insensibilité de la décision de remplacer Jacques Martin par Randy Cunneyworth a été parfaitement illustrée quand le directeur-général de l'équipe, Pierre Gauthier, face au vent de critiques, est allé ajouter qu'«une langue, ça s'apprend». L'ânerie de la semaine, quand on sait que le temps d'apprentissage du français est certainement plus long que la durée de vie d'un entraîneur-chef du Canadien.

Mais je voudrais aborder une autre dimension. Le Canadien est certes une institution, mais c'est aussi une entreprise privée, qui cherche à faire des profits. Cette entreprise oeuvre dans un domaine très précis, à travers le hockey et l'organisation de spectacles, celui du divertissement grand public. Quand une entreprise tire ses revenus du public, on s'attend normalement à ce qu'elle prenne les moyens pour plaire à ce public et répondre à ses attentes.

Au strict point de vue de la gestion, le choix de Randy Cunneyworth comme instructeur est donc une mauvaise décision d'affaire. Premièrement, parce que le Canadien a indisposé son public. Deuxièmement, parce qu'il a révélé par le fait même qu'il connaît très mal son marché. Troisièmement, parce qu'il a commis une gaffe linguistique en plein milieu d'un débat sur la place de l'anglais dans les sièges sociaux. Quatrièmement, parce qu'avec un entraîneur qui ne parle pas français, il se prive du principal canal de communication direct avec la majorité de ses clients. Cinquièmement, parce que les reculs subséquents pour insister sur le caractère intérimaire de la nomination et sur le fait que le bilinguisme serait un critère pour le choix de l'entraîneur permanent trahit un étonnant degré d'improvisation.

Mais comment peut-on être aussi amateur en affaires et réussir quand même à faire de l'argent? Cela s'explique en bonne partie par la triple situation de monopole dont jouit le Canadien. Un monopole géographique: pas de concurrent sur son territoire. Un monopole stratégique: la popularité du hockey est trop forte au Québec pour qu'un autre sport puisse menacer le Canadien. Un monopole affectif: l'attachement au Canadien est à ce point indéfectible que le Canadien peut commettre bien des erreurs sans trop perdre de plumes.

Cela nous rappelle aussi que le caractère institutionnel du Canadien a un revers. À bien des égards, la culture de cette vieille institution appartient à un Québec qui n'existe plus. Une culture où les francophones ont longtemps été dominés - domination dont les traces ne sont pas complètement disparues, notamment dans la timidité de l'affirmation du fait français. Assez pour que les Québécois acceptent du Canadien des choses qu'ils n'accepteraient pas ailleurs.

On peut cependant se demander si ce monopole sera éternel. Si Québec réussit à obtenir une franchise de la Ligue nationale, on sait que les Nordiques deuxième version joueront à plein la carte fleur-de-lysée. La myopie linguistique du Canadien qui, pour l'instant ne lui fait pas beaucoup de tort, pourrait devenir un handicap.