Le puritanisme change de forme à travers les âges. Mais le désir de vouloir définir le bien et le mal, de vouloir imposer aux autres sa propre définition du bien reste une constante du comportement humain. Depuis quelque temps, il commence à prendre une forme nouvelle, que l'on pourrait appeler le néo-puritanisme éthique.

On peut en comprendre les origines. Les scandales financiers et la crise de confiance envers les gouvernements et les scandales suscitent une soif de probité. Ce souci légitime se transforme en puritanisme quand on tire à tort et à travers et que l'on ne prend pas le soin de bien définir les enjeux éthiques.

On a eu un bel exemple de ce débordement puritain la semaine dernière quand le quotidien Le Devoir a révélé que la Coalition priorité cancer, un organisme qui défend les gens touchés par le cancer, obtenait 60% de son financement des compagnies pharmaceutiques. L'article a déclenché le cirque habituel quand les médias électroniques se sont emparés de l'affaire, que les projecteurs, les caméras, les micros se sont braqués sur les dirigeants de la coalition.

J'ai trouvé cela odieux. Des médecins et des citoyens bien intentionnés, qui défendent une juste cause, se sont fait traiter comme des entrepreneurs en construction qui venaient de voir l'escouade Marteau débarquer à leurs bureaux. Le débat est monté jusqu'au ministre de la Santé, Yves Bolduc, qui a dit qu'il y avait là un problème éthique.

Lequel, au juste? C'est le cas type d'un dossier où l'on a mal défini les questions éthiques, en s'attachant trop aux apparences. Il y a certes des enjeux éthiques dans ce dossier. Mais ils ne sont pas là où l'on pense.

Le lien entre la coalition et l'industrie pharmaceutique pouvait susciter un questionnement, pour la raison suivante. La coalition a milité pour convaincre le gouvernement de renverser une décision de l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux, l'INESSS, qui avait refusé de recommander le remboursement de quatre médicaments très coûteux pour le traitement de certains cancers du poumon. Le ministre Bolduc a finalement donné gain de cause à la coalition pour trois de ces médicaments. Pouvait-on donc en conclure qu'il avait pu céder aux pressions indirectes du lobby pharmaceutique?

C'est du rigorisme puritain, parce que cette hypothèse, en apparence logique, ne résiste pas à l'examen des faits. Cette coalition n'a jamais caché l'origine de ses donateurs, bien en vue sur son site. Donc pas de problème de transparence. Les compagnies ne siègent pas aux instances décisionnelles de l'organisme. La quasi-totalité des revendications de l'organisme ne portent pas sur les médicaments.

Mais surtout, il y a un argument de gros bon sens. Pouvez-vous imaginer un groupe défendant des patients atteints du cancer qui ne se battra pas pour qu'ils aient droit à tous les médicaments disponibles? C'est une évidence que même si c'était la CSN qui avait financé la coalition, ses demandes auraient été exactement les mêmes.

Ce simple fait aurait dû clore le débat dit éthique. C'est un dossier où il n'y a pas de conflit d'intérêts, mais plutôt une confluence d'intérêts entre les organismes du cancer et les pharmaceutiques, qui ne subventionnent évidemment pas la coalition par altruisme. C'est aussi un dossier qui montre les limites de notre obsession pour l'apparence de conflits.

Et pourtant, dans ce même dossier, il y avait deux enjeux éthiques majeurs. Le premier, c'est jusqu'à quel point les choix de santé doivent-ils être déterminés par des considérations économiques ? Et le second, c'est jusqu'à quel point les décisions de santé peuvent-elle être déterminées par les réactions des politiciens aux groupes de pression ?