Quand le premier ministre Charest a annoncé, mercredi, la tenue d'une enquête sur la collusion et la corruption dans la construction, mais en proposant une formule où cette commission n'aurait pas les pouvoirs d'assignation qui donnent leur force à ce genre d'institution, la seule question qui venait à l'esprit, c'était: pourquoi?

Pourquoi Jean Charest, après être allé aussi loin, après s'être résigné à faire une volte-face, n'est-il pas allé jusqu'au bout en lançant une vraie commission d'enquête avec pleins pouvoirs, au lieu de réinventer la roue et de s'écarter d'une formule éprouvée depuis des décennies?

Au plan politique, les libéraux ne peuvent que perdre encore plus de plumes. Leur formule tarabiscotée ne fera que renforcer la méfiance des citoyens et perpétuer la perception que le gouvernement avance à reculons et a quelque chose à cacher.

Pourquoi, alors? Honnêtement, je suis perplexe. Pour protéger la mafia, comme l'a déjà dit sottement Pauline Marois? Évidemment pas. Dans l'espoir que si les gens ne sont pas forcés de témoigner devant la commission, cela limitera les témoignages fracassants risquant d'éclabousser le gouvernement? Peut-être, mais c'est illusoire. La commission, présidée par la juge Charbonneau, dispose d'une grande indépendance et d'un mandat très large lui permettant de retourner toutes les pierres qui méritent de l'être.

Cette commission, quoi qu'en dise l'opposition péquiste, n'est pas une «arnaque». C'est même un grand progrès de la part d'un gouvernement qui résistait à l'idée même d'une enquête. Malgré ses limites, elle pourra abattre un travail significatif. Mais elle ne pourra pas aller aussi loin qu'une véritable commission d'enquête. C'est ça, le véritable enjeu.

Pourquoi alors? Il y a sans doute, dans cette décision décevante, le désir des libéraux de ne pas perdre la face avec un virage à 180 degrés complet. Aussi une forme d'entêtement. Le premier ministre Charest, depuis le début, a privilégié une approche policière pour nettoyer la construction - mettre les bandits en prison. Il y a d'ailleurs consacré des ressources significatives. L'erreur est là.

D'une part, parce que l'argumentaire gouvernemental n'est pas convaincant. M. Charest dit craindre que les témoignages devant une commission qui peut assigner des témoins contre leur gré permettent à ceux-ci d'être blanchis ou compromettent les enquêtes policières. Jusqu'ici, aucun spécialiste, aucune analyse ne soutient cette thèse. Il est vrai que les témoins contraints à témoigner jouissent d'une immunité. Mais celle-ci ne porte que sur leur témoignage et n'empêche pas les mises en accusation.

Mais on peut aller plus loin. Même si les travaux d'une commission traditionnelle pouvaient affecter les enquêtes criminelles, ce serait quand même la voie à suivre. Car tout dépend du but recherché. Que veut-on? Punir des personnes pour des crimes passés, ou nettoyer l'industrie et casser un système pour que ça ne se reproduise plus à l'avenir? S'il y a un choix à faire, c'est l'efficacité du nettoyage qui doit passer d'abord.

L'expérience des deux dernières années l'a démontré par l'absurde. On a vu la lenteur des enquêtes policières, mais aussi leurs limites. Elles ne permettent pas d'exposer un système. Jusqu'ici, l'essentiel de ce que l'on sait provient non pas du travail policier, mais de celui des médias.

Ce qu'une commission avec pleins pouvoirs peut donner, ce n'est pas seulement un spectacle, quoique cela puisse avoir des vertus de thérapie collective. Mais d'exposer un système, d'identifier ses acteurs, pour mettre fin à leurs pratiques. De casser une culture qui est faite d'actes criminels, mais aussi de petits réseaux, de liens d'amitié, de paresse, de complaisance, d'incompétence, de mauvaises politiques. Un tel changement de culture ne pourra se faire ni dans un palais de justice, ni dans les travaux d'une commission à huis clos.