Il faut bien regarder où l'on pose les pieds quand on se promène dans un pré où broutent des vaches sacrées. François Legault l'a appris à ses dépens quand il a fait des remarques un peu légères sur les cégeps.

La création des collèges d'enseignement général et professionnel est l'une des recommandations du rapport Parent, un des moments forts de la Révolution tranquille. En outre, avec les cégeps, le Québec se dotait d'un ordre d'enseignement unique, qui n'existe nulle part ailleurs. Ce double caractère a contribué à sacraliser le réseau des collèges. On n'y touche donc pas impunément.

Surtout que le chef de la Coalition pour l'avenir du Québec l'a fait sur le ton de la boutade, en réponse à une question, pour décrire les collèges comme un lieu où l'on apprend à fumer du «pot». M. Legault, tout en disant que l'idée d'abolir éventuellement les cégeps ne devait pas être exclue, ajoutait que ce n'était pas dans ses intentions.

Cela a néanmoins provoqué une prévisible levée de boucliers contre le politicien que l'on a accusé, à tort, de vouloir abolir les cégeps. On en fait une question de vie ou de mort, ce qui détourne commodément l'attention de ce qui devrait être le véritable enjeu.

Dans le débat sur l'éducation, les cégeps sont en général dans l'ombre, parce que toute l'attention se dirige vers le secondaire et les universités.

Ce n'est pas un crime de lèse-majesté d'accorder la même attention au réseau collégial et de se demander s'il remplit bien sa mission, surtout quand on sait que le Québec y investit 1,5 milliard par année.

La question de l'abolition du réseau collégial est de toute façon rhétorique parce que personne ne prône cela sérieusement. Les commissions scolaires ont lancé l'idée il y a quelques années dans un combat corporatiste un peu risible. Car même si on concluait que la création des cégeps n'était pas l'idée du siècle, il est presque impossible de revenir en arrière. Trop coûteux. Trop compliqué. On détruirait des établissements de qualité, avec leurs traditions, leur personnel, leurs programmes. On affecterait des régions où les cégeps sont un pôle de développement. La sagesse, c'est de faire le mieux possible avec.

Est-ce le cas? Le Québec, avec son système unique, souffre d'un taux de décrochage plus élevé qu'ailleurs au Canada pour le secondaire. À l'autre bout, le taux de fréquentation universitaire est plus bas - 45 % des Ontariens de 22 ans vont à l'université, contre 35% des Québécois. On a deux problèmes : en amont du cégep, et en aval. On peut se demander si le cégep, censé jouer un rôle de transition, y est pour quelque chose.

D'autant plus que les résultats des cégeps ne semblent pas impressionnants. Du côté de l'enseignement préuniversitaire, les étudiants obtiennent leur DEC en 2,4 ans. Une moyenne qui semble acceptable. Mais quand on creuse, on découvre qu'en 2007-2008, seulement 44,8% des étudiants ont complété leur DEC dans la durée normale de deux ans. Moins de la moitié!

Et c'est parce que les collèges privés remontent les moyennes, avec un taux de diplomation de 66,3% en deux ans. Au public, à peine 39,9% réussissent leurs études collégiales dans le temps prescrit. Il faut attendre cinq ans pour atteindre un taux de diplomation de 73,5%. Du côté de l'enseignement technique, à peine 34,1% obtiennent leur diplôme dans le temps prescrit de trois ans, et 55,1% au bout de cinq ans.

Ces délais sont-ils normaux? Les taux de diplomation sont-ils suffisants? Est-ce que les étudiants suivent le meilleur cheminement pour les préparer à leur vie adulte? Honnêtement, je ne sais pas. Mais ce n'est pas avec des débats aux accents religieux qu'on obtiendra des réponses.