Méfions-nous des lois que les politiciens décident d'adopter en regardant la télévision. Encore plus quand ce sont des artistes qui les poussent à le faire. Ça risque fort de donner de mauvais résultats.

C'est certainement le cas du projet de loi 25 qui vise à interdire à un commerçant de revendre un billet de spectacle, d'événement sportif ou même d'exposition au-dessus de son prix initial, sous peine d'amendes salées.

Sur papier, c'est impeccable. Il est choquant de voir des gens payer le double du prix initial pour voir un spectacle. C'était l'argument, fort légitime, de Louis-José Houde dans une sortie remarquée au gala de l'ADISQ. Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, l'a écouté. En déposant un projet de loi musclé, il donne l'impression d'agir.

Mais la sagesse voudrait qu'on analyse et qu'on réfléchisse avant d'agir. Et, dans ce cas-ci, qu'on fasse un peu moins de politique et un peu plus d'économie. D'abord parce que le «scalping» est un phénomène mondial, difficile à contrôler, et que les lois pour le combattre ont tendance à être inapplicables.

Mais surtout, parce que l'indignation populaire et l'intervention gouvernementale reposent sur une prémisse fausse. Quand on dénonce le fait que le prix d'un billet est supérieur à sa valeur initiale, c'est qu'on suppose que les choses ont une valeur intrinsèque et invariable. Il y a des tonnes d'exemples pour prouver le contraire.

Le même objet ou le même service, même culturel, verra sa valeur varier en fonction du moment où il est vendu, du lieu où il est vendu, de sa rareté, de la demande, des effets de la mode.

Une peinture que l'on revend plus cher. Un maillot de bain moins cher en juin qu'en avril. Un hot-dog plus cher au Grand Prix que sur la Main. Ou encore les billets pour le spectacle d'Adele, il y a quelques semaines, vendus à 32$, parce qu'ils ont été mis en vente avant l'explosion de sa popularité.

Cette prémisse fausse a un corollaire, lui aussi faux, que la revente est une activité parasitaire qui n'apporte aucune valeur. Ce n'est pas toujours le cas. Il y a des gens qui veulent se départir de leurs billets, encore plus s'ils peuvent faire de l'argent. Et il y a plein de monde qui cherchent des billets. Des touristes, ou des gens qui viennent de décider d'aller voir U2, quitte à payer plus cher.

En soi, la revente n'est pas un scandale. Elle offre même un service utile et elle reflète des mécanismes de marché naturels. Le fait que le prix d'un spectacle populaire augmentera à mesure qu'on s'approche du moment où il aura lieu. Et surtout, que la revente n'est possible que si la demande pour un spectacle est supérieure au nombre de places disponibles. Et comme elle ne s'exerce que pour les événements populaires, qui relèvent du divertissement, qui ne sont pas des biens essentiels, si les billets sont trop chers, on n'a qu'à ne pas en acheter.

Il est vrai que le phénomène est en explosion, à cause de l'internet qui facilite la revente et qui, surtout, permet à des sociétés d'acheter davantage de billets. Il y a danger d'abus si ces sociétés pervertissent les mécanismes normaux, empêchent des consommateurs d'acheter des billets par les voies normales et créent une rareté artificielle.

C'est là qu'il faut intervenir, pour d'abord mesurer l'ampleur du phénomène, ensuite pour encadrer l'industrie et empêcher les abus. Pas avec une loi «mur à mur». On pourrait en profiter pour se demander pourquoi les artistes, en principe épris de liberté, quand ils se sentent menacés poussent les gouvernements dans des interventions contrôlantes aux accents bulgares.