Regardez les débats politiques des pays industrialisés. Ça brasse partout. Aux États-Unis, la victoire d'Obama et ensuite la remontée de la droite radicale. En France, Sarkozy est malmené, tandis que le Front national remonte et que les socialistes sont en crise existentielle. En Grande-Bretagne, les tories, minoritaires, ont dû former un gouvernement de coalition qui a du mal à imposer son virage budgétaire. Au Québec, le gouvernement Charest passe un mauvais quart d'heure pendant que le PQ se cherche.

Et maintenant, regardez la campagne fédérale au Québec. Le Bloc québécois domine le paysage politique avec le même chef depuis 14 ans, Gilles Duceppe, avec les mêmes idées et, grosso modo, le même score. Le beau fixe. Est-ce un signe de santé collective? Pas vraiment, car la vie démocratique se nourrit de mouvement. C'est bien davantage l'expression de l'inertie d'une société qui s'est mise entre parenthèses.

Une partie de cette domination indéfectible du Bloc s'explique par la faiblesse de ses adversaires, incapables de séduire l'électorat québécois. Elle tient aussi aux qualités intrinsèques du parti et de son chef, qui jouent leur rôle avec honnêteté et compétence.

Mais le Bloc maintient également son emprise parce qu'il reflète les rapports ambivalents des Québécois francophones face à la réalité canadienne. Ce parti est né dans la colère au lendemain de l'échec du lac Meech. La colère n'est plus là, mais le parti, lui, est resté. Cela a progressivement mené à une mutation de son rôle, ce qui en fait maintenant le véhicule d'expression de l'indifférence et de l'auto-exclusion. En ce sens, le succès du Bloc québécois est le reflet d'un échec historique du fédéralisme.

Mais, paradoxalement, le succès du parti de Gilles Duceppe repose probablement davantage sur l'impasse du mouvement souverainiste. Le Bloc offre une porte de sortie au fait qu'une victoire de la souveraineté n'est pas possible, en fournissant une façon d'exprimer son attachement à cette option de façon symbolique, sans risque et sans engagement et surtout, sans référendum. Ce projet, que l'on pourrait qualifier de souveraineté passive, permet au Bloc de faire le plein des voix de la famille souverainiste étendue, y compris les fatigués et les déçus.

La démarche proposée par M. Duceppe, même si elle est démocratique, même si elle comble des besoins légitimes, comporte un coût, souvent souligné, celui d'exclure le Québec du pouvoir à Ottawa, d'affaiblir ses rapports de force dans les débats politiques canadiens.

Sans compter les contradictions auxquelles mène une logique qui fonctionne à l'intérieur d'un système clos. Le Bloc se présente comme un rempart contre une victoire conservatrice, quand la meilleure façon de barrer les conservateurs serait plutôt de les remplacer. Et quand ce sont les libéraux qui sont au pouvoir, le BQ les dénonce avec la même vigueur, nous entraînant ainsi dans la roue sans fin du mécontentement perpétuel.

Mais ce qui apparaît le plus néfaste pour le Québec dans le rôle de ce parti, c'est la culture de dépendance qu'il encourage. Le Bloc se présente comme le défenseur des intérêts du Québec, mais sur un mode passif, qui ressemble à la façon dont les syndicats défendent leurs membres, en formulant des demandes, en posant des exigences, sans jamais avoir à participer à la gestion ou à faire les choix qui viennent avec les responsabilités. Une position d'extériorité confortable, qui permet d'être gagnant autant quand on remporte des batailles que quand on les perd.

Cela met les Québécois dans une situation de dépendance et de vulnérabilité. Le choix que propose le Bloc québécois, c'est de ne pas agir dans le cadre canadien, de ne pas faire les choses, et de se borner à demander.