Les gens ont la mémoire courte. Encore plus quand il s'agit de politique où l'événement du jour fait oublier ce qui s'est passé la semaine d'avant. C'est donc avec une certaine appréhension que je voudrais parler de quelque chose qui s'est passé il y a 28 mois, aussi bien dire l'éternité.

Les gens ont la mémoire courte. Encore plus quand il s'agit de politique où l'événement du jour fait oublier ce qui s'est passé la semaine d'avant. C'est donc avec une certaine appréhension que je voudrais parler de quelque chose qui s'est passé il y a 28 mois, aussi bien dire l'éternité.

Le 27 novembre 2008, quelques semaines après la victoire de son parti, le ministre des Finances, Jim Flaherty, déposait un énoncé économique censé répondre à la crise économique dont on voyait les premiers ravages. Pourquoi ressasser cette vieille histoire? Parce que cet énoncé est un moment charnière, qui éclaire deux débats qui dominent ce début de campagne électorale: la performance du gouvernement Harper pendant la récession, et le brouhaha autour des coalitions.

Cet énoncé économique du ministre Flaherty est la politique économique la plus nulle que j'ai vue en 35 ans de carrière journalistique. Le ministre voulait répondre aux menaces qui pesaient sur le Canada et sur le monde. Il avait déjà dû, avec ses partenaires internationaux, prendre des mesures énergiques pour stabiliser le système financier. Il savait que l'heure était grave, quoiqu'il espérait encore que le Canada s'en tirerait avec une récession technique.

Et que proposait-il? Rien. Ou plutôt le contraire de ce qu'il fallait. Le ministre était surtout préoccupé par la perspective d'un déficit. Les familles, disait-il, afin de protéger l'avenir qu'elles souhaitent, font des sacrifices immédiats. «Notre gouvernement adopte la même démarche. Nous protégerons notre avenir en maintenant une saine gestion budgétaire et financière.»

Et c'est ainsi que l'énoncé annonçait une foule de mesures de restrictions budgétaires, pour un total de 6 milliards. C'était exactement ce qu'il ne fallait pas faire. L'approche keynésienne adoptée dans tous les pays industrialisés, ce n'est pas de couper en période de crise, mais plutôt de dépenser davantage pour stimuler l'économie, quitte à créer un déficit. Par rigidité idéologique, les conservateurs s'apprêtaient à aggraver la situation de l'économie canadienne.

C'était déjà évident à l'époque. Dans ma chronique, au lendemain de cet énoncé, qui s'intitulait «Est-ce qu'ils sont tombés sur la tête?», j'écrivais: «Le Canada se trouve ainsi à être le seul pays industrialisé majeur qui ait choisi de ne rien faire. De deux choses l'une: ou bien le gouvernement Harper, visionnaire, est le seul à avoir le pas (...) ou bien le Canada est dirigé par le gouvernement le plus inapte et le plus inepte du monde industrialisé. La réserve journalistique m'interdit de préciser de quel côté je penche.»

Mais le débat a principalement porté sur le volet politique de l'opération. Les compressions annoncées par les conservateurs pénalisaient surtout leurs adversaires: le financement public des partis politiques, le salaires des fonctionnaires, le recours au tribunaux pour défendre l'équité salariale. La réaction des trois partis de l'opposition a été si vive qu'ils étaient prêts à renverser le gouvernement nouvellement élu. Et c'est ce qui a mené à l'idée d'une coalition entre libéraux et néo-démocrates, appuyée par les bloquistes.

C'est la menace d'être remplacés par cette coalition qui a forcé les conservateurs à présenter en février 2009 un budget résolument axé sur la stimulation économique, qui injectait des milliards et engendrait un déficit record. Et qui ressemblait étrangement à un budget libéral, ce qui a permis au nouveau chef du PLC, Michael Ignatieff, de l'appuyer. Ce plan d'action économique, dont se vantent encore les conservateurs dans cette campagne électorale, leur a en fait été imposé.

Ce petit rappel historique explique bien des choses dans cette campagne, notamment pourquoi Stephen Harper déteste tant le concept de coalition, pourquoi les libéraux ont du mal à se distinguer des conservateurs au plan économique, et pourquoi les conservateurs ne devraient pas autant se vanter de leur performance.