Le Bal des neiges d'Ottawa, sous la pression des amis des canards et des oies, a décidé d'interdire le foie gras dans la portion gastronomique de ses activités.

Le Bal des neiges d'Ottawa, sous la pression des amis des canards et des oies, a décidé d'interdire le foie gras dans la portion gastronomique de ses activités.

L'incident est mineur. Il fait peu de victimes. Sinon le chef montréalais Martin Picard, du Pied de cochon. Celui-ci devait être la vedette des activités culinaires du Bal des neiges. Il était le clou de la soirée d'ouverture, en déménageant sa cabane à sucre au Musée canadien des civilisations. Il s'est finalement retiré parce qu'il ne pouvait pas utiliser le produit qui a fait sa réputation. Les autres victimes sont les 450 personnes qui avaient raflé en quelques heures les billets à 125$.

Mais les petites choses en apparence insignifiantes sont parfois des révélateurs, qui nous en disent beaucoup sur des phénomènes plus profonds.

Cet incident est d'abord une fable sur le Canada. Il nous rappelle que, dans un État binational comme le Canada, les deux nations qui le composent sont souvent deux solitudes. Il serait inconcevable que l'équivalent québécois de ce Bal des neiges, Montréal en lumière, ait l'idée de bannir le foie gras.

La guerre au foie gras a en effet quelque chose de terriblement anglo-saxon. Ce mouvement s'est surtout développé aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Plusieurs villes américaines, comme Chicago, interdisent ce produit dans les restaurants de leur territoire. Et ce geste a des racines politiques et culturelles.

Le mouvement anti-foie gras a pu se nourrir du courant de francophobie qui s'est développé aux États-Unis après l'attentat du 11 septembre, quand la France a refusé de suivre les États-Unis dans sa croisade contre «l'axe du mal».

Le geste patriotique se doublait d'un réflexe culturel. Il est en général plus facile de boycotter ce qu'on ne consomme pas. On l'a vu avec les Européens qui dénoncent la chasse au phoque. Même si on torturait les cochons dans les porcheries américaines, les amis des bêtes auraient le plus grand mal à organiser avec succès un boycottage des côtes levées. Il est par contre plus facile de convaincre un élu municipal de condamner un produit qu'il n'a jamais goûté et qu'il ne mangera jamais.

Ce qui est agaçant, c'est que la Commission de la capitale nationale, la CCN, un organisme fédéral, qui organise le Bal des neiges, ait repris le mouvement. Ce devrait d'abord être gênant pour la société anglo-canadienne qui déploie de considérables énergies à montrer que sa culture se distingue de celle de ses voisins du sud. Est-ce là une conséquence de l'arrivée à Ottawa des conservateurs de Stephen Harper?

Et c'est agaçant pour les francophones, qui se voient imposer des stéréotypes culturels anglo-saxons dans un événement qui devrait être inclusif. La Capitale nationale, en principe, se doit d'être non seulement bilingue, mais aussi biculturelle.

Mais derrière cette décision bête se profile un autre fait de société. Si la CCN a agi ainsi, c'est pour ne pas avoir de problèmes, pour offrir, comme elle le dit, «une expérience positive à tous les participants». Une façon de dire qu'on ne voulait pas avoir d'ennuis avec les groupes militants de protection des animaux. Une autre manifestation de la dictature des groupes de pression, qui peuvent paralyser des institutions, imposer leurs vues, souvent puritaines, souvent suintantes de rectitude, à ceux qui ne les partagent pas.

Au mépris de la logique. Parce que le sort des canards gavés n'est certainement pas pire que, par exemple, des poissons qui meurent asphyxiés dans les cales des bateaux de pêche. Et au mépris des chiffres. Près de 450 personnes avaient réservé leur place à ce repas gastronomique. Dans le pire des scénarios, combien de militants seraient-ils venus les dénoncer? Dix? Quinze? Vingt? Notre démocratie souffre d'un déficit arithmétique.