Pour ma chronique d'aujourd'hui, j'hésitais entre deux sujets. Je me demandais en fait de quel bonhomme parler: le Bonhomme Carnaval ou le Bonhomme Sept-Heures?

Pour ma chronique d'aujourd'hui, j'hésitais entre deux sujets. Je me demandais en fait de quel bonhomme parler: le Bonhomme Carnaval ou le Bonhomme Sept-Heures?

Le Bonhomme Carnaval, c'est évidemment toute l'histoire déclenchée par le «dossier» du magazine Maclean's, un article médiocre, impressionniste, plein d'amalgames, suintant de stéréotypes simplistes. Cela en dit long sur les ravages de l'information spectacle. Fallait-il réclamer des excuses? Je ne crois pas. La liberté d'expression couvre aussi le droit à l'incompétence et à la bêtise. Vous voyez, c'est un sujet facile à traiter, où les élans viennent tout naturellement.

J'ai plutôt choisi la voie difficile, en parlant du Bonhomme Sept-heures de l'économie: la productivité. Le terme fait peur, et il fait bâiller, tout comme la légende dont on se servait pour envoyer les enfants au lit. C'est probablement le sujet le moins sexy que l'on peut choisir en chronique. Et pourtant, il faudrait en parler et en reparler.

Il y avait, jeudi dernier, un grand colloque sur le sujet, organisé par le Centre sur la productivité et la prospérité des HEC, avec des spécialistes québécois, des chercheurs représentant du FMI et de l'OCDE, ainsi que de l'Institut pour la prospérité et la compétitivité, de Toronto, le pionnier en la matière au Canada.

Honnêtement, ce n'était pas très jojo. Il était certes rassurant de voir, comme le montrait cette rencontre, qu'on a fait de grands progrès dans la compréhension et dans l'analyse du phénomène. Mais il était moins drôle de constater qu'on n'a fait aucune espèce de progrès concret pour améliorer la productivité, tant au Canada qu'au Québec.

Pourquoi est-ce inquiétant? Il y a une chaîne causale. On reconnaît maintenant l'existence d'un écart de niveau de vie entre le Québec et le Canada, et plus encore avec les États-Unis et la plupart des pays industrialisés. On commence à accepter l'idée qu'il faudrait réduire cet écart, pour notre bien-être, pour augmenter nos ressources collectives, pour résister aux pressions démographiques. La seule façon d'y parvenir, c'est en augmentant notre productivité.

En 2009, le niveau de vie, mesuré par le PIB par habitant, était de 38 611 $ au Québec, de 43 479$ en Ontario, de 46 242$ au Canada, et de 56 109$ aux USA. Et ça ne bouge pas, sauf un peu pendant la récession.

Quand on décompose ces écarts de niveau de vie pour en identifier l'origine, on retrouve deux éléments: l'intensité du travail - nombre de travailleurs, heures travaillées - et la productivité, une composante plus significative, surtout quand on se compare aux autres pays. Le Québec, pour sa productivité du travail, se classerait aux 19e rang sur 28 pays de l'OCDE.

Robert Gagné, le directeur du Centre sur la productivité et la prospérité, rappelle que la productivité au Québec n'a augmenté que de 1,05% par année depuis trois décennies. Avec les effets du vieillissement, il faudrait qu'elle augmente de 1,61% par année, seulement pour maintenir notre niveau de vie. Un bond de 50%. Et si nous voulons augmenter le niveau de vie, ce devrait être beaucoup plus.

Comment? Ce n'est pas si clair, car on ne comprend pas tout sur la productivité. Mais il y a des pistes évidentes: l'éducation - université, formation de cadres, formation en entreprise, lutte au décrochage - une piste en apparence simple, pourvu qu'on accepte de valoriser l'éducation et d'y consacrer les fonds nécessaires. La réduction des rigidités du marché du travail aussi, un dossier qui peut être explosif.

Mais l'une des clés du succès sera davantage culturelle. Et c'est un changement dans notre conception même de l'économie, une redéfinition de nos objectifs et de notre mesure du succès, y compris chez les politiciens, pour que l'on pense en termes de productivité plutôt que de création d'emplois.