Le ministre des Finances du Canada, Jim Flaherty, prononçait mardi midi un discours important à Ottawa. Important parce qu'il coïncidait avec la rentrée parlementaire, qu'il portait sur un enjeu majeur, la crise et la reprise, et qu'il était livré à un auditoire sélect, celui du Canadian Club.

Le ministre des Finances du Canada, Jim Flaherty, prononçait mardi midi un discours important à Ottawa. Important parce qu'il coïncidait avec la rentrée parlementaire, qu'il portait sur un enjeu majeur, la crise et la reprise, et qu'il était livré à un auditoire sélect, celui du Canadian Club.

Ça fait très longtemps que je suis nos politiciens de près. Pendant toutes ces années, je n'ai jamais vu un ministre des Finances dont les discours, comme celui que vient de prononcer M. Flaherty, sont aussi grossièrement partisans, aussi primaires, aussi bêtes.

On s'attend à une certaine retenue de nos ministres des Finances, à une certaine «gravitas». Il est normal qu'ils jouent le jeu politique. Mais ils sont d'habitude au-dessus de la mêlée, en raison de leur rayonnement international, de leur rôle de fiduciaire, de leur obligation - notamment dans les budgets - de dire la vérité et de donner l'heure juste.

Avec les conservateurs, nous assistons à une rupture de cette tradition. S'il fallait juger M. Flaherty sur sa récente diatribe partisane, on devrait conclure que notre ministre des Finances est un parfait idiot. Je sais cependant que la bêtise de son discours n'est pas un reflet de ses lacunes intellectuelles, mais plutôt le résultat d'une stratégie politique délibérée du gouvernement dont il est membre. C'est encore pire, car ce désir de viser le plus bas possible, sous prétexte d'être près des gens, menace la démocratie.

Qu'est-ce qui agace dans ce discours?  Pas que le ministre tente de montrer à quel point son gouvernement a été fantastique dans la lutte à la récession. Ce n'est pas très convaincant, mais c'est normal.

La partisanerie va cependant beaucoup plus loin. Le ministre des Finances martèle un thème maintenant au coeur du discours conservateur: l'existence d'une coalition Ignatieff-NPD-Bloc québécois qui menace le Canada. Un leitmotiv qui est une fiction, car ce qui a marqué l'arrêt de mort de la coalition initiée par Stéphane Dion, c'est justement l'arrivée de Michael Ignatieff à la tête du PLC.

Il y a quelque chose de républicain dans ces attaques, un peu comme les rumeurs voulant que Barack Obama soit musulman. Ce n'est pas vrai, ça ne tient pas debout, mais répétez-le ad nauseam, et des gens finiront par y croire.

L'autre élément troublant, également aux accents républicains, c'est que le ministre évoque à plusieurs reprises la menace d'une catastrophe. On s'attend à ce qu'un politicien au pouvoir dise que ses adversaires feraient un mauvais travail. Mais M. Flaherty va beaucoup plus loin. «Ne détruisez pas notre pays», implore-t-il, en s'adressant aux partis de la «coalition».

«Mesdames et messieurs, une élection inutile risquerait de tout compromettre. Et je ne parle pas seulement des impressionnants accomplissements des dernières années. Pas seulement le statut de leadership mondial que nous avons chèrement acquis. Mais aussi notre croissance à long terme et notre prospérité. La possibilité d'investir dans les priorités des Canadiens. La qualité de vie de nos enfants et de nos petits-enfants.»

En quoi nos petits-enfants sont-ils menacés? Les taxes, qui détruiraient 400 000 emplois. «Avec un gouvernement Ignatieff-NPD-Bloc québécois, rien ne serait à l'abri. Aucun secteur de l'économie ne serait épargné. Aucun contribuable ne pourrait éviter le choc.» Mais ça va plus loin. «Ce n'est pas seulement le gros gouvernement qui pige dans vos poches votre argent durement gagné. Le coût réel de ces promesses irréfléchies est qu'elles affecteront la vie des Canadiens, nos familles, nos entreprises et nos communautés.»

Voilà le genre. Ça donne une idée du ton que prendra le débat politique au Canada. Et cela soulève une question. Y a-t-il encore de la place pour l'intelligence?