Il n'est vraiment pas fréquent qu'un organisme se paie une pleine page de publicité pour répondre à un journaliste, comme l'a fait hier la Fédération des médecins spécialistes du Québec, qui a dénoncé deux textes que j'ai écrits sur leur grande campagne de publicité télévisée.

Je me sens cependant l'obligation de répliquer. Pas pour en faire une bataille de coqs. Mais parce que le débat public sur les enjeux des finances doit avoir pour but premier d'éclairer les citoyens. Si j'ai critiqué la campagne publicitaire des spécialistes, c'est parce qu'elle n'éclaire pas les gens. Pour trois raisons.

Premièrement, on ne peut pas faire abstraction du contexte dans lequel s'inscrit cette campagne. Elle n'est ni neutre ni désintéressée. Les spécialistes proposent diverses avenues pour augmenter les revenus de l'État. Pourquoi? Pour réduire l'obligation de comprimer les dépenses, et donc pour créer un espace favorable à leurs demandes salariales. C'est certainement au coeur de leur démarche. Mais ce n'est dit clairement nulle part. À mon avis, il s'agit d'un détournement de débat. On injecte des sommes considérables dans une campagne publicitaire qui cherche à défendre les intérêts des spécialistes, que l'on maquille en message d'intérêt public.

Deuxièmement, la FMSQ a choisi de ne proposer que des hausses de revenu et n'a rien fait du côté des dépenses. Il y a là un choix. Dans un débat public, les omissions ont aussi un sens. Il est gênant que les spécialistes n'aient pas aussi évoqué des façons de mieux gérer le système de santé -une réflexion où leur expérience serait précieuse- et qu'ils n'aient pas dit ce qu'ils pourraient faire pour contribuer à cet effort collectif.

Troisièmement, le bouquet de mesures proposé par la FMSQ est simpliste, parce qu'on propose des mesures sans réfléchir le moindrement à leurs impacts. On ne peut pas, par exemple, décrire l'exportation de l'eau comme une solution dont les effets seraient «immédiats». Il s'agit d'un projet complexe, aux conséquences environnementales inconnues, qui ouvrirait la porte à un débat très difficile. On ne peut pas proposer diverses mesures -redevances sur l'eau, hausses des tarifs d'électricité pour les entreprises- sans penser aux conséquences économiques d'initiatives qui ont toutes pour effet d'accroître le fardeau fiscal des entreprises. On ne peut pas lancer l'idée de taxe sur la malbouffe ou l'eau en bouteille, attrayante au premier abord, sans se demander ce que l'on taxera, qui paiera la note, et quels seront les impacts sur les comportements.

Ce n'est pas un plan, mais un exercice de gérants d'estrade, un assemblage confus de mesures disparates, dont le dénominateur commun semble être qu'elles ont suscité des réactions positives en sondage. On ne peut pas bâtir une politique fiscale en fonction des réactions à chaud recueillies dans un sondage. C'est l'essence même du populisme.

Une campagne publicitaire n'est pas un bon moyen d'engager un débat de société. Notamment parce qu'elle ne permet pas de bien aborder des questions de fond. Jusqu'où peut-on régler les problèmes de finances publiques en augmentant les revenus? Peut-on faire plus avec l'argent consacré à la santé? Et, pourquoi pas, combien devrait-on payer les spécialistes?

Ce qui est ironique, c'est que je suis l'un des rares commentateurs à avoir appuyé les spécialistes dans leurs difficiles négociations avec le ministre Philippe Couillard. Ces spécialistes ont finalement remporté cette bataille. Et cela explique pourquoi ils apprécient l'approche de «bulldozer» de leur président, le Dr Gaétan Barrette.

Cette méthode, on la voit encore à l'oeuvre dans cette longue réplique de la FMSQ (www.fmsq.org/annonce_fmsq_23032010.pdf), qui trahit une très faible tolérance à la critique. Fonctionnera-t-elle encore? J'ai la forte impression qu'elle va plutôt nuire à la cause des spécialistes, parce que le contexte a changé.