La création d'emplois, qui a été au coeur de nos préoccupations collectives et de nos politiques économiques pendant des décennies, n'est plus vraiment un problème, et ne devrait plus être une priorité. Ça peut paraître bizarre de dire cela au lendemain d'une récession qui, malgré une embellie, laisse le Québec avec un taux de chômage de 8%.

Le gros problème qui nous attend, et dont il faut s'occuper dès maintenant, ce n'est pas qu'il n'y ait pas d'emplois disponibles pour les travailleurs, mais plutôt qu'il manque de travailleurs pour combler les postes. Ce changement de paradigme majeur exige, de la part des politiciens et des acteurs économiques, une transformation des attitudes et des mentalités qui s'amorce, mais encore trop timidement.

 

Les signaux de ce changement sont multiples. Le Conseil du patronat du Québec, par exemple, dans un sondage auprès de hauts dirigeants publié ce vendredi, leur a demandé quels étaient les facteurs les plus importants pour leur entreprise. Ont-ils parlé de fiscalité, de taux de change, de concurrence? Pas vraiment. Les cinq facteurs les plus cités étaient: la qualité de la main-d'oeuvre (27%), la productivité (25%), le coût de la main-d'oeuvre (23%), la motivation et la rétention des employés (23%), la disponibilité de la main-d'oeuvre (19%). Cinq questions liées au marché du travail.

Ce renversement s'explique par deux phénomènes. Le premier est le choc démographique qui frappe plus le Québec que les sociétés voisines. Le premier impact, avant que les coûts du vieillissement se fassent sentir, sera la baisse de la population en âge de travailler. Dès 2013, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail seront moins nombreux que les vieux qui prennent leur retraite. Le second, c'est la transformation de notre économie, plus orientée vers le savoir, qui exige donc une main-d'oeuvre plus qualifiée, plus formée qu'auparavant.

Un problème à la fois quantitatif et qualitatif, dont les premiers effets se font sentir dans certaines régions et dans certaines industries qui ne trouvent pas la main-d'oeuvre dont elles ont besoin. Un casse-tête qui ira en s'accentuant. Avec le risque qu'on se retrouve avec une armée de travailleurs peu qualifiés incapables de se trouver du travail, mais aussi avec des milliers de postes qu'on n'est pas capables de combler.

Mais les attitudes changent. On l'a vu à la rencontre économique de Lévis où le premier ministre Jean Charest ne parlait plus de création d'emplois, mais plutôt de mesures pour s'attaquer aux problèmes de pénurie qui nous attendent. Ce virage devrait être plus clair et plus marqué pour être bien compris.

Qu'est-ce qu'on fait? Il y a une multiplicité de solutions. Par exemple, faciliter le maintien au travail des 55 ans et plus qui le veulent et qui le peuvent, le «vieillissement actif», comme le propose Claude Castonguay dans une très intéressante étude, La longévité: une richesse, publiée au Cirano avec la collaboration de Mathieu Laberge.

Il faut miser avec encore plus d'énergie sur l'éducation et la formation. C'est dans ce cadre que s'inscrit la lutte contre le décrochage, pour réduire le nombre de jeunes sous-qualifiés, ou encore la revalorisation de la grande négligée de notre réseau d'éducation, la formation professionnelle et technique. C'est aussi pour cela qu'il faut combler nos retards universitaires. Qu'il faut accompagner ceux qui étaient exclus du marché du travail.

Enfin, on doit s'attaquer à nos retards de productivité. Tout simplement parce que s'il y a moins de gens, il faudra que chaque travailleur dispose des moyens pour pouvoir en faire plus.