Jean Charest et Stephen Harper se trouvaient hier sur la même tribune, à Rivière-du-Loup, pour annoncer un projet de production de biocarburants. On pouvait naïvement croire que cette rencontre permettrait de rétablir des ponts entre les deux premiers ministres après le froid de Copenhague.

Eh bien! non. Quand on a demandé à Jean Charest s'il regrettait les propos très sévères qu'il avait tenus à l'endroit des politiques environnementales canadiennes, il en a remis. Comme Édith Piaf, il ne regrette rien...

 

«Il n'y a pas une chose que je changerais dans ce que j'ai fait et dit à Copenhague. Pas un mot», a-t-il lancé, sur un ton très agressif. «Si parler et défendre les intérêts du Québec, ça dérange du monde, eh bien tant pis.»

Pourquoi ce ton très dur? En soi, le désaccord entre les deux hommes sur les changements climatiques ne suffit pas à expliquer des propos qui étaient à la limite de la civilité. Il y a autre chose. D'abord, les règles du jeu de la politique québécoise. Ensuite, un enjeu plus lourd de conséquences, la transformation du fédéralisme canadien.

Au plan politique, il y a des rituels qu'un premier ministre québécois se doit de respecter s'il ne veut pas sombrer dans les sondages. Une des pires choses qu'il peut faire, c'est de manifester une forme quelconque de complicité avec le gouvernement fédéral. Dans notre imaginaire collectif, pour démontrer qu'il défend les intérêts québécois, un premier ministre québécois ne doit pas seulement être ferme, il doit être agressif. C'est ce qu'a fait M. Charest, qui a toutefois renouvelé le genre en choisissant le thème moderne et rassembleur de l'environnement.

Mais derrière le jeu politique, se profile un enjeu beaucoup plus important. Et c'est la façon dont les questions reliées de l'énergie et de l'environnement sont en train de modifier profondément l'équilibre de la fédération sur une nouvelle base, celle de la production pétrolière. M. Harper a déploré le fait qu'avec les sorties de M. Charest à Copenhague, le Canada ne parlait pas d'une seule voix. Dans les faits, cette voix canadienne n'existe pas. Le Canada est coupé en deux.

Mon collègue Joël-Denis Bellavance a illustré ce changement dans notre numéro d'hier en montrant comment la péréquation s'est transformée. L'Ontario est maintenant une province «pauvre», qui reçoit de la péréquation. Tandis que deux provinces qui en recevaient n'ont plus droit à l'aide fédérale, Terre-Neuve et la Saskatchewan. Le changement tient largement au pétrole.

C'est cette division qui se retrouve dans le débat environnemental, où l'immobilisme du premier ministre Harper s'explique essentiellement par ses efforts pour ne pas entraver la production pétrolière, notamment celle des sables bitumineux. C'est ce qui m'a amené à parler de fédéralisme bitumineux.

Mais on ne peut pas aborder ces questions sur un mode simpliste. Le débat n'est pas entre ceux qui sont pour ou contre les sables bitumineux. Seuls les imbéciles peuvent croire qu'on peut tout simplement mettre la clé dans la porte. Le défi, c'est de trouver une façon de réduire les effets négatifs du pétrole sale sans tuer la poule aux oeufs d'or, de trouver un équilibre entre le développement économique et la lutte au réchauffement climatique, entre les régions, entre les industries.

Le premier ministre Harper, avec sa logique bitumineuse, semble incapable de faire ces arbitrages. Son parti pris peut en outre pénaliser des provinces comme le Québec. Ce qui explique la réaction agressive de Jean Charest. Mais celle-ci ne règle rien. Parce que ce dont nous avons besoin, ce sont des politiciens capables de contribuer à la difficile recherche de cet équilibre. M. Charest pourrait jouer ce rôle, s'il s'élève au-dessus de la mêlée.