Le vérificateur général du Québec a publié cette semaine un rapport dévastateur sur la façon dont le ministère des Transports gère ses contrats: contrats sans appel d'offres, recours à des mécanismes d'urgence non justifiés, et même des cas de collusion entre entrepreneurs.

Comme il se doit dans notre belle tradition parlementaire, la chef de l'opposition, étranglée par l'indignation, a réclamé la démission immédiate de la ministre des Transports, Julie Boulet, qu'elle accuse d'être complice de ces turpitudes.

 

Le laxisme et les irrégularités à ce ministère dépassent largement la personne de la ministre des Transports ou même le gouvernement actuel. Ce que révèle ce rapport, c'est bien davantage l'existence de deux problèmes systémiques.

Le premier, global, universel même, c'est quand le monde de l'asphalte, du béton et des bulldozers rencontre celui de la politique. L'attribution de contrats publics est une source constante de tentations, un terrain fertile aux abus. C'est partout pareil. À Montréal, au Québec, ailleurs au Canada, dans les autres pays.

Le second est plus local. Le ministère des Transports est énorme, avec ses 6000 employés - 10% de la fonction publique -, très décentralisés, et donc difficile à gérer. Il donne pour 2,7 milliards d'ouvrages et doit signer plus de 30 000 contrats par année. C'est certainement complexe. Quand on connaît les risques de dérapages, et quand on doit gérer une machine pareille, il faudrait pouvoir compter sur un appareil administratif fort et efficace. Or, c'est le contraire.

Je quitte ici le mode analytique pour laisser parler mes instincts: l'impression persistante que le ministère des Transports est un mauvais ministère, archaïque, incompétent - une bande de pas bons.

On l'a découvert avec le viaduc de la Concorde. Il a fallu une commission d'enquête où Pierre Marc Johnson a en fait dit au ministère comment faire son travail. C'est le même scénario cette semaine. Le vérificateur général découvre des failles que le ministère aurait déjà dû identifier et colmater. Cette incompétence, on la retrouve aussi dans le dossier de l'échangeur Turcot, où le ministère semble incapable de s'adapter au fait que cet ouvrage majeur n'est pas seulement un dossier de voirie, mais une intervention significative de développement urbain.

L'extrait du rapport du vérificateur qui m'a le plus troublé, ce n'est pas l'un de ceux qui décrivent les irrégularités dans les contrats, mais plutôt cette remarque: «Le ministère ne réalise pas d'analyse comparative en matière des coûts entre les régions du Québec, ni avec d'autres administrations, ni dans le temps.» Bref, on y va au pif, sans outils pour savoir si on se fait avoir et si on pourrait faire mieux.

Et il y a sans doute autre chose que l'incompétence. Le vérificateur n'en parle pas, mais nous savons tous que la Voirie et maintenant les Transports ont été historiquement un haut lieu de patronage. Est-ce que cela a changé? Jusqu'à quel point l'attribution de contrats d'asphalte ou de déneigement est-elle imperméable aux affinités politiques ou aux réseaux d'amitié régionaux? On ne peut pas s'empêcher de noter que les titulaires les plus marquants de ce ministère ont aussi été des organisateurs politiques: Marc-Yvan Côté pour les libéraux et Guy Chevrette pour les péquistes.

Par ailleurs, dans le dossier des contrats et des appels d'offres, on fait souvent une adéquation entre les irrégularités et le financement politique. Mais le cas de collusion dont parle le vérificateur ne semble pas avoir de ramifications politiques. Même chose à Montréal. Cela suggère que les appareils administratifs eux-mêmes devraient être scrutés à la loupe.

Cela nous mène à deux conclusions. La première, c'est qu'il faut sérieusement redresser la barre au ministère des Transports. La seconde, c'est qu'on a besoin plus que jamais d'une commission d'enquête sur le béton et l'asphalte.