Le débat politique sur une hausse des tarifs s'est déplacé. Le premier ministre Jean Charest a-t-il l'intention, oui ou non, de toucher au tarif du bloc d'électricité dit patrimonial? C'est ce qu'a demandé, le trémolo dans la voix, la chef de l'opposition, Pauline Marois.

En posant le débat dans ces termes, on quitte le domaine de l'économie et de l'énergie pour entrer dans celui du religieux. Le mot «patrimoine» a une lourde charge symbolique: il décrit ce qui doit être préservé, ce qui doit être protégé à tout prix. Cela nous ramène au sacré, comme le Québec sait si bien le faire.

 

Mais dans le débat sur l'énergie, le concept de patrimoine a une signification légale qui n'a rien à voir avec notre culture, notre identité ou notre héritage architectural.

Ce concept a été développé au tournant du millénaire pour permettre à Hydro-Québec de profiter de la libéralisation des marchés de l'électricité dans le nord-est du continent américain. Pour avoir accès à ces marchés, le Québec devait offrir la réciprocité, et ouvrir le sien.

Le Québec a néanmoins mis sur pied une structure pour protéger son marché, en divisant Hydro-Québec en quatre entités étanches (équipement, production, distribution et transport), et en définissant ce bloc patrimonial de 165 térawattheures, qui couvrait alors les besoins du Québec, dont le prix serait fixe à 1,79 cent le kilowattheure. Ce bloc échappait à la concurrence et aux lois du marché, qui s'appliquent à l'énergie produite au-delà de ce seuil. Par exemple, quand Hydro demande des hausses de tarifs, elle le fait pour les frais de transport et de distribution, ou pour le coût de l'électricité au-delà de ce bloc.

Derrière la mécanique, il y avait une philosophie. Ces tarifs fixes donnent un avantage aux consommateurs québécois, et leur permettent ainsi de profiter, eux aussi, de ce bien collectif. C'est l'argument que reprend Mme Marois.

Cette approche comporte deux failles. D'abord, la meilleure façon de faire profiter les citoyens d'un bien collectif, c'est d'en retirer des bénéfices qui sont, eux aussi, collectifs: financer des infrastructures, réduire la dette, créer des fonds de développement. Subventionner la consommation, comme nous le faisons, procure une gratification immédiate dont il ne reste plus rien ensuite. C'est une forme de gaspillage, prisée par des gouvernements populistes. Hugo Chavez le fait avec son pétrole au Venezuela. Pas l'Alberta, ni la Norvège.

En outre, des prix trop bas pour l'électricité amènent des effets pervers. Un risque de surconsommation, la difficulté d'implanter des mesures d'économie ou de développer des sources d'énergie alternatives. Cela limite la principale contribution du Québec dans la lutte contre les changements climatiques, déployer son énergie propre pour remplacer l'électricité de source thermique, comme le charbon. Au plan environnemental, c'est un véritable scandale.

Ce raisonnement ne permet pas de justifier des hausses sauvages. Il faut maintenir l'avantage québécois. Il faut se souvenir qu'on a poussé les Québécois au chauffage électrique, dont ils sont maintenant prisonniers, et qu'on ne peut donc pas brutalement changer les règles du jeu. Il faut aussi protéger les gens à plus faibles revenus, un souci reflété dans tous les scénarios de hausses de tarifs.

Mais on peut aussi dédramatiser le débat. En rappelant qu'une hausse des tarifs ne signifie pas nécessairement une hausse de la facture, parce que les citoyens peuvent économiser l'énergie et réduire leur consommation. Et en soulignant qu'il y a une disproportion entre l'intensité du débat et sa portée réelle. Une hausse de 1% des tarifs représente, en gros, pour un consommateur moyen, une hausse de la facture mensuelle de 1$. On devrait donc respirer par le nez.