Décidément, il y a des moments où le commentaire politique ressemble au journalisme sportif, quand les analyses les plus savantes et les pronostics en apparence béton résistent mal à l'épreuve des faits.

Il y a une semaine à peine, le déclenchement d'élections fédérales à l'automne était tenu pour une quasi-certitude. Mais le Bloc québécois et le NPD, dans un revirement que personne n'avait vu venir, ont décidé de soutenir les conservateurs et ont ainsi rendu caduque la menace des libéraux de renverser le gouvernement Harper.

 

Si la politique est si imprévisible, c'est peut-être parce qu'elle ressemble au sport. Reste à savoir lequel. On pensera bien sûr au hockey, notre sport national. Ou à la boxe, à cause de son caractère pugilistique. Je pense plutôt à la lutte, plus proche du grand guignol. Et plus précisément à la lutte à quatre, avec son côté désordre, où les coups peuvent venir de partout, comme dans ce Parlement où chacun des quatre partis peut tout faire dérailler.

Le côté cirque est plus présent que d'habitude parce que les gouvernements sont minoritaires, avec les revirements, les coups de théâtre et la politicaillerie que cela engendre. Ce qui pourrait être évité en partie si nos institutions, nos moeurs politiques et nos traditions journalistiques s'étaient adaptées à la situation.

Tout le débat politique, depuis des semaines, repose sur une prémisse fausse. Dans notre tradition, l'opposition est là pour s'opposer. Si un parti de l'opposition vote en faveur d'une mesure gouvernementale, sauf dans des cas exceptionnels, on dira qu'il appuie le gouvernement, s'en fait le complice, qu'il trahit ses valeurs, ou bien qu'il n'a pas de courage.

Une logique dont la faille est évidente. Si tous les partis de l'opposition se «tenaient debout», nous aurions de trois à quatre élections générales par année, parce que les gouvernements minoritaires tomberaient au premier vote important.

Mais nous sommes entre deux chaises. On n'aime pas les gouvernements minoritaires, mais on ne veut pas d'élections. On en voudra au parti qui nous précipitera en campagne électorale tout en lui reprochant de ne pas le faire.

Et il en sera ainsi tant qu'on n'acceptera pas l'idée qu'il est parfaitement normal, et même souhaitable, que des partis de l'opposition votent du côté du gouvernement, pour éviter l'instabilité politique de scrutins à répétition. Il faudrait aussi accepter le fait qu'il est naturel qu'un parti ne provoque pas d'élections quand cela pourrait lui nuire. Cela n'a rien de déshonorant. Mais aucun politicien n'a le droit de dire les choses comme elles sont.

Cette semaine, les quatre chefs, sans exception, ont pataugé dans les contradictions. Stephen Harper, après avoir raillé l'alliance des libéraux avec les «séparatistes» et les «socialistes», doit sa survie aux mêmes lépreux. Jack Layton, qui faisait ses gorges chaudes des 69 fois où les libéraux ont appuyé le gouvernement, multiplie les entrechats pour expliquer pourquoi il fait maintenant la même chose. Gilles Duceppe appuie le gouvernement après avoir récemment accusé libéraux et conservateurs d'être du pareil au même. Et Michael Ignatieff, après avoir longtemps soutenu le gouvernement, fait maintenant la leçon aux autres partis de l'opposition qui ne font que l'imiter.

Curieusement, c'est M. Ignatieff, dont le projet a pourtant été déjoué, qui pourrait être le grand gagnant. Dans une position intenable, forcé d'éviter «l'effet Dion», il a fait le pari de renverser le gouvernement Harper, même si les sondages ne lui étaient pas très favorables. Il profite maintenant du meilleur des deux mondes, en présentant l'image d'une opposition ferme, sans courir le risque d'une campagne électorale.

Mais le résultat, ce sont de doubles discours qui sonnent faux. Et qui ne font que nourrir le cynisme face à la politique.