Tout grand projet d'envergure provoque dorénavant de longs débats collectifs. C'est maintenant dans l'ordre des choses. Le remplacement de l'échangeur Turcot n'échappe pas à la règle, avec son cortège de dénonciations, de manifestations, d'interventions passionnées aux audiences du BAPE.

Ce n'est pas un signe d'immobilisme. Il est parfaitement normal et même essentiel qu'un projet comme celui-là provoque des débats et soit soumis à un complexe processus d'examen. Parce qu'il faut concilier un concept, créé par le ministère des Transports dans une logique de circulation, avec les exigences du développement urbain. Parce qu'il faut minimiser les impacts négatifs sur la qualité de vie des citoyens, à commencer par les expropriations ou le bruit. C'est donc un projet qui devra retourner bien des fois sur la planche à dessin.

 

Mais aussi parce que le remplacement de cet échangeur s'inscrit dans une réflexion, la place de l'automobile, qui est au coeur des transformations économiques, culturelles et sociales qu'il faudra faire pour protéger l'environnement et la qualité de vie urbaine.

Ce qui n'est pas normal, c'est qu'une excellente idée - moderniser une infrastructure urbaine décrépite et débarrasser Montréal d'une monstruosité en proposant un ouvrage plus près du sol - se transforme en chemin de croix pour ceux qui en ont eu l'initiative.

L'élément qui contribue peut-être le plus à rendre le débat difficile, c'est l'équation implicite qui colore les raisonnements. Parce qu'il faut réduire la circulation automobile dans les villes, et que les accès routiers contribuent à accroître le volume de véhicules, il faut donc s'opposer à tout projet d'ajout ou de remplacement du réseau autoroutier. L'objectif est louable. Mais l'équation est insuffisante, elle ne se vérifie pas toujours, et dans bien des cas, elle devient un syllogisme.

Premièrement, cette équation encourage la pensée magique, par exemple le rêve de remplacer le spaghetti routier de Turcot par des boulevards urbains. L'échangeur est la rencontre de trois autoroutes: la 15, la 20 et la 40. Le volume de circulation y est considérable et le restera même si on réussit à réduire l'utilisation de l'auto. On ne peut pas transformer radicalement la fonction de l'échangeur sans affecter les axes qui le nourrissent et sans littéralement paralyser la métropole.

Deuxièmement, cette équation peut mener à des solutions simplistes. Si l'ajout d'accès autoroutiers augmente le volume automobile, il suffirait de faire le contraire, et de fermer le robinet. C'est l'approche soviétique de la régulation de la demande par les queues. En restreignant l'accès à la ville, on provoque une congestion qui dissuadera les automobilistes. C'est ressorti dans le débat sur l'échangeur Turcot avec cette idée de réserver une voie aux autobus en réduisant le nombre de voies pour l'automobile. Cette approche punitive comporte des coûts énormes, et elle va à l'encontre des expériences couronnées de succès. La condition sine qua non pour réussir à réduire la place de l'automobile, c'est de proposer une alternative crédible et attrayante. À Londres, par exemple, l'introduction des péages a été un succès parce que les transports en commun étaient de haut niveau.

Troisièmement, l'équation est imparfaite, parce qu'elle oublie qu'une autoroute fonctionne dans les deux sens et qu'un réseau autoroutier fonctionnel peut réduire la congestion et épargner les villes. Montréal ne dispose pas d'un réseau complet de voies de ceinture comme on en trouve dans toutes les grandes villes, qui permettent entre autres à la circulation, surtout aux camions, de contourner le centre de la ville. Et pourtant, on dénonce les efforts pour compléter ces voies de ceinture, comme le prolongement de la 30 ou le pont de la 25.

La morale de l'histoire, c'est qu'on ne réduira pas la place de l'auto en écoeurant les automobilistes, mais en leur proposant quelque chose de mieux.