Depuis le déclenchement de cette crise, on s'est souvent demandé si celle-ci changerait quelque chose. Si, au-delà de ses impacts économiques évidents, le choc serait suffisant pour provoquer des transformations durables dans nos sociétés, pour nous amener à apprendre de nos erreurs.

Eh bien, l'un de ces changements profonds est en train de s'opérer sous nos yeux avec les restructurations douloureuses de deux des trois géants américains de l'automobile, General Motors et Chrysler. Des faillites, des transformations, des fusions, des acquisitions, même de géants, il y en a tout le temps. Cependant, ce qui arrive à GM et à Chrysler peut être qualifié d'historique.

 

Parce que les déboires de ces deux compagnies contribuent à affecter la place des États-Unis dans le monde. Parce que les restructurations seront assez significatives pour modifier les comportements des consommateurs et les politiques environnementales. Parce que les plans de sauvetage changent aussi les règles du jeu du capitalisme.

Tout d'abord, il ne faut pas négliger l'immense charge symbolique de ces événements. L'industrie automobile a été, pendant presque un siècle, l'incarnation de la puissance économique américaine et l'expression la plus évocatrice de l'American way of life.

L'échec des grands de l'automobile a donc une portée qui dépasse l'industrie. C'est aussi un échec collectif qui illustre un certain affaiblissement de la puissance américaine dans le monde. D'autant plus que les autres pays producteurs d'automobiles, comme l'Allemagne et le Japon, n'ont pas connu les mêmes déboires. Le fait que la survie de Chrysler repose sur l'intervention d'une entreprise italienne, Fiat, ne fait qu'ébranler encore plus l'idée de la suprématie américaine.

Par ailleurs, si GM et Chrysler en sont là, cela s'explique largement par une mauvaise gestion et de mauvais choix, notamment l'incapacité de produire les véhicules que souhaitent les consommateurs et dont ils ont besoin. Les restructurations, par définition, forceront ces compagnies à repenser leurs stratégies.

Mais comme le gouvernement américain pèse très lourd dans le processus de décision des compagnies, et que l'administration Obama a fait des technologies vertes l'un des éléments centraux de ses politiques de relance économique, cela créera des conditions uniques pour s'attaquer avec vigueur à l'un des éléments clés des politiques de réduction des gaz à effet de serre, la production de véhicules moins énergivores.

Enfin, le processus même du sauvetage annonce aussi un déplacement de la frontière entre l'État et l'économie de marché. Les gouvernements américain et canadien ont allongé des milliards pour empêcher les grands de l'auto de s'effondrer. Mais leur intervention a largement dépassé le soutien financier.

La restructuration de GM, beaucoup plus profonde que ne souhaitaient ses dirigeants, avec l'abandon de la marque Pontiac, la disparition de la moitié des concessionnaires, les dizaines de milliers de mises à pied, a carrément été imposée et téléguidée par l'administration Obama. C'est aussi la Maison-Blanche qui pousse Chrysler dans les bras de Fiat. Et si un plan de transformation de ces prêts gouvernementaux en actions est mené à terme, le gouvernement américain contrôlera la compagnie.

Ce genre de prise en charge, assez habituel au Québec, constitue une quasi-révolution aux États-Unis. Bien sûr, il s'agit de mesures d'exception qui se justifient par la situation de crise. Mais un tel déplacement du pouvoir est rarement ponctuel. Quand l'État s'est engagé, le processus de désengagement risque d'être lent. Nous assistons probablement à un retour du balancier, où l'État sera plus présent, plus interventionniste, comme on le voit également dans le secteur financier. Cela marque sans doute la fin de la période de laisser-faire qui a contribué à cette crise.