Le départ de Monique Jérôme-Forget, qui quitte son poste de ministre des Finances et la vie politique, représente une très lourde perte pour le gouvernement de Jean Charest.

Pas parce qu'elle est irremplaçable aux Finances. Raymond Bachand, rapidement nommé pour lui succéder, dispose de toutes les qualités pour combler ce poste. On peut même dire que ses connaissances et sa feuille de route le prédisposent davantage à cette fonction que Mme Jérôme-Forget, une psychologue de formation, avec une solide expérience en politiques publiques, notamment en santé, mais qui n'avait pas une grande maîtrise de la chose économique.

 

La perte vient plutôt du fait que dans un conseil des ministres, on peut compter sur les doigts d'une main les ministres forts, ceux qui s'imposent dans l'opinion publique, qui sortent du rang et qui définissent l'action gouvernementale. Mme Jérôme-Forget était l'une de ceux-là. Son départ, après celui de Philippe Couillard, est certainement un coup dur pour le gouvernement Charest.

Le gouvernement perd également une excellente ministre des Finances. J'ai une certaine expérience en la matière. Je m'intéresse aux finances publiques depuis 1976. J'ai couvert des dizaines de budgets, et j'ai vu de près tous les ministres des Finances qui ont défilé. Assez pour dire que Mme Jérôme-Forget était parmi les grands.

Bien sûr, au Québec, le symbole du grand ministre des Finances, c'est Jacques Parizeau, flamboyant, capable de parler avec autorité des grands enjeux économiques et financiers. Un homme exceptionnel et brillant, mais qui a quand même endetté le Québec, surtaxé les Québécois et commis certaines erreurs économiques assez sérieuses.

Ce qui définit un bon ministre des Finances a changé. On jugera davantage aux résultats: le contrôle des finances publiques, l'évolution du fardeau fiscal, la capacité d'éviter les erreurs coûteuses. Les qualités que l'on recherche maintenant sont donc plus ingrates: cohérence, capacité d'établir et de respecter des échelles de priorité, jugement.

Ce qu'on a pu apprécier de Mme Jérôme-Forget, au Conseil du Trésor, c'est la logique interne de son action, un contrôle très serré des finances publiques, mais dans le respect des missions essentielles de l'État. Et aux Finances, la capacité de garder le cap et de concentrer le tir sur une conception du développement qui favorise la création de richesse. Et cela nous a donné trois bons budgets.

Cette cohérence, on l'a retrouvée dans son rôle au sein de l'équipe ministérielle, pour imposer une direction à un gouvernement qui a eu tendance à l'éparpillement. Pour résister aux pressions. Et, sur le plan idéologique, pour défendre un conservatisme fiscal de bon aloi.

Elle a su défendre ses idées de façon franche et claire, avec un style qui a su plaire, comme on l'a vu avec son allusion à sa sacoche, qui passera à la petite histoire. Ces qualités ont cependant des revers. La fermeté s'est parfois transformée en rigidité. Et le franc-parler peut devenir une forme de brutalité verbale, un handicap sérieux pour un politicien. Dans des dossiers de réforme difficiles, la réingénierie de l'État et les PPP, Mme Jérôme-Forget a manqué du sens pédagogique essentiel pour faire accepter des réformes impopulaires.

Ce sont ces mêmes lacunes qui se sont manifestées dans le dossier de la Caisse de dépôt et placement. La ministre n'est pour rien dans les mauvais placements de la Caisse; aucun ministre n'aurait pu déceler et empêcher la triste aventure des PCAA. Mais par la suite, elle a failli dans sa mission de faire preuve de transparence, d'admettre les erreurs, de bien expliquer les choses, de dialoguer. Et c'est sur cette note, sur cette fausse note, qu'elle nous quitte. C'est dommage.