Si on en croit les tout derniers sondages de la campagne électorale, le Parti libéral dirigé par Jean Charest semble bien se diriger vers un gouvernement majoritaire.

L'électorat n'aurait donc pas écouté les nombreuses voix qui affirment que les gouvernements minoritaires sont souhaitables, parce qu'ils permettent de contrer l'arrogance du pouvoir et forcent les gouvernements à se mettre à l'écoute du peuple. Ce courant, que l'on pourrait appeler le «minoritarisme», peut sembler attrayant au premier abord. Mais les résultats le sont moins.

 

Ce discours vient en premier lieu de la scène politique fédérale, où l'on a connu trois gouvernements minoritaires de suite. Il ne s'agit pas, rappelons-le, d'un choix conscient ou d'un souhait des électeurs canadiens, mais la résultante d'une impasse politique, l'incapacité des grands partis nationaux à s'imposer suffisamment pour obtenir un mandat majoritaire.

C'est surtout lors de la dernière campagne électorale fédérale qu'on en a fait un projet politique. La perspective d'une victoire conservatrice majoritaire a amené libéraux, néo-démocrates et bloquistes à se proposer comme rempart pour empêcher Stephen Harper d'être majoritaire. On évoquait les risques d'une dérive hyperconservatrice s'il détenait la majorité. L'argument, on l'a vu récemment, était fondé.

Mais ne nous y trompons pas. Il y avait aussi du calcul politique. Les gouvernements minoritaires donnent au Bloc et au NPD, éternels partis de l'opposition, un pouvoir qu'ils n'auraient pas autrement. Quant aux libéraux, il est évident qu'ils ne croient pas sincèrement que les gouvernements majoritaires sont, en soi, une mauvaise chose. Ce n'était pas une doctrine pour eux, mais le plan B d'un parti mal en point qui ne pouvait pas remporter les élections.

Il existe un autre courant, plus sincère, pour qui un gouvernement minoritaire incarne mieux la démocratie, souvent des militants des petits partis ou des partisans du vote proportionnel qui voudraient que les parlements reflètent mieux la multiplicité des points de vue qui s'expriment dans la société. Il y a là une pointe de populisme, un désir de démocratie directe qui correspond à une autre conception du pouvoir dont je cherche encore les vertus.

On a eu l'expérience de trois gouvernements minoritaires à Ottawa. Et ça n'a pas été joli. Le temps considérable consacré aux chicanes partisanes, l'instabilité qui mène aux élections à répétition, la paralysie de l'appareil d'État, et des gouvernements obsédés par l'immédiat et par les perspectives électorales.

On ne peut cependant pas transposer ce fiasco au cas québécois, ni dans un sens ni dans l'autre. D'abord, on a bien vu que l'Assemblée nationale n'a pas été en crise, notamment parce que la dynamique à trois est plus stable que le cirque à quatre fédéral.

Ensuite, l'idée qu'il faut empêcher Jean Charest d'être majoritaire comme on l'a fait pour Stephen Harper ne tient pas la route, parce que le chef libéral n'a pas d'intentions cachées. Il faut voir cette thèse pour ce qu'elle est: le plan B de partisans du Parti québécois qui découvrent qu'ils ne peuvent pas remporter les élections.

Cet argument repose sur ce qu'on a qualifié d'arrogance du premier ministre Charest lorsqu'il était majoritaire. J'y vois plutôt la maladresse d'un gouvernement qui n'était pas prêt. Mais il est intéressant de noter que les deux grands dossiers que l'on associe à cette arrogance, Orford et le Suroît, sont justement deux cas où le gouvernement libéral, même majoritaire, a dû reculer devant la pression populaire! Ce qui montre qu'un gouvernement majoritaire n'est pas une dictature, et qu'il doit rester à l'écoute pour pouvoir fonctionner.

Mais est-ce que les libéraux ont mieux fait lorsqu'ils étaient minoritaires? Il est clair que leur semi-défaite les a ébranlés, ce qui leur a fait du bien. Mais le résultat a quand même été un gouvernement qui n'avait pas de marge de manoeuvre, qui devait être prudent, qui devait éviter de brasser la cage, qui ne pouvait pas bouger sans avoir un oeil sur les sondages. C'est certainement plaisant, mais est-ce que c'est la meilleure façon de gouverner?

Un gouvernement est aussi là pour prendre des décisions parfois impopulaires, pour penser à l'avenir même quand ce n'est pas dans les préoccupations, pour proposer une vision, même si elle n'est pas au départ consensuelle. Un gouvernement doit aussi être capable de traverser des moments d'impopularité sans risquer de se faire renverser. Rien de cela ne sera possible tant que nos gouvernements seront minoritaires.