Ceux qui , en écoutant hier après-midi la gouverneure générale Michaëlle Jean lire le discours du Trône, s'attendaient à apprendre comment le gouvernement entendait naviguer dans la tempête seront amèrement déçus.

Il est vrai qu'un discours du Trône est par tradition un document au ton pompier, vague à souhait. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. Les détails, les chiffres, les mesures concrètes, qui nous donneraient une idée de ce que le gouvernement conservateur entend faire pour contrer les effets de la crise mondiale sur le Canada, on les retrouvera la semaine prochaine dans la mise à jour économique et financière que présentera le ministre des Finances, Jim Flaherty. Il faut donc éviter de sauter rapidement aux conclusions tout de suite.

Mais ce qu'on a pu lire et entendre, hier, n'annonce rien de substantiel ou d'impressionnant. Si un discours du Trône renferme peu d'éléments concrets, c'est toutefois l'endroit rêvé pour énoncer une philosophie, esquisser une direction, proposer un cadre d'intervention. Et ça, on ne le retrouve pas dans le discours du Trône, ce qui reflète bien l'aversion du premier ministre Harper pour l'expression de grands principes. Même en tenant compte des règles du genre, ce document est peu inspirant, sans vision, sans originalité, sans grandeur.

Tout d'abord, la dispersion. En principe, annonçait-on, le discours devait porter sur l'économie. Et pourtant, cette priorité des priorités ne mérite que quatre des 10 pages que comporte le discours. L'agenda conservateur y passe au complet, du registre des armes à feu à l'apologie de la politique environnementale, en passant par l'Afghanistan.

Ensuite, à quelques exceptions près, la grande majorité des mesures évoquées par le gouvernement Harper ne sont pas différentes de celles qui auraient été proposées si le Canada n'était pas frappé par les effets de la crise mondiale. Promouvoir l'innovation, favoriser l'acquisition de compétences, scruter les dépenses publiques, développer le commerce international sont toutes des propositions louables, mais qui ont peu d'impact sur le ralentissement économique. Ce sont en outre des choses dont un gouvernement aurait dû parler de toute façon. Par exemple, la volonté de créer une commission des valeurs mobilières communes, qui fera grand bruit au Québec, une idée chère aux conservateurs, peut difficilement se justifier par la conjoncture.

Quant aux mesures spécifiques pour contrer le ralentissement, une accélération des travaux d'infrastructure ou une politique d'aide à des secteurs affectés, comme l'automobile et l'aérospatiale, parfaitement prévisibles, n'ont rien, dans la façon dont elles sont présentées, qui puisse projeter l'image d'un gouvernement qui a les choses bien en main et qui consacre l'intensité que requiert la situation.

Même dans un dossier non soumis aux règles de discrétion qui entourent les mesures de nature budgétaire, la réforme du système financier international, qui vient de faire l'objet d'un sommet à Washington, le discours du Trône réussit à être d'une banalité désolante: «Le Canada mettra à profit son expérience pour élaborer un solide modèle de réglementation financière qui aidera le monde à réparer et à renforcer le système financier international.»

Il y a cependant un endroit où le gouvernement Harper est très clair, en ouvrant la porte à un déficit temporaire. En principe, c'est la chose à faire. Parce qu'une lutte à tout prix contre le déficit risquerait de déprimer encore davantage l'économie. Mais il faut quand même se demander comment il se fait que le gouvernement fédéral, qui nageait dans l'argent, risque de sombrer dans le rouge quand le gouvernement du Québec réussit à enregistrer des surplus.

La raison, on la connaît, et c'est que les conservateurs ont fait de mauvais choix. Rompant avec la tradition de prudence extrême imposée par Paul Martin, qui voulait justement prémunir le Canada contre des chocs internationaux, le gouvernement conservateur a dilapidé sa marge de manoeuvre, notamment en réduisant la TPS de deux points, qui a certainement été la mesure fiscale la plus désolante de la décennie. Un coût énorme, 11 milliards par année, et un impact nul. Imaginons ce que l'on pourrait faire avec tout cet argent maintenant qu'on en a besoin. Les conservateurs ont également manqué de sagesse en cédant à l'illusion de richesse procurée par le succès artificiel de l'industrie pétrolière.

S'il y a un souhait à formuler, c'est que ce discours du Trône, un document insipide, ne reflète pas fidèlement les intentions du gouvernement, et que l'énoncé du ministre Flaherty réussira à nous surprendre.