Jacques Brassard, ancien ministre péquiste et maintenant chroniqueur à Chicoutimi est, pourrait-on dire, un homme de droite, pourfendeur de gauchistes et partisan passionné du président Bush.

Dans ses textes, il exprime ses idées sans faire dans la dentelle, comme s'il prenait un évident plaisir à dire tout haut ce qu'il a dû taire pendant des années et comme s'il voulait se défouler après avoir dû subir la culture de gauche imposée par les instances de son parti.

 

Le texte qu'il a publié mercredi dans La Presse est de la même eau. Il reproche, en termes assez crus, au Bloc québécois d'avoir mis la souveraineté de côté pour défendre les mêmes idées que le NDP dont il est devenu le «jumeau» et de sortir des écuries des idées qui sont de «vieilles picouilles de gauche».

Ce pavé dans la mare a suscité tout un émoi dans le camp souverainiste où les réactions ont été souvent aussi incendiaires. L'ex-premier ministre Jacques Parizeau, aigri, y a vu un complot de Power Corporation, tandis que son successeur Bernard Landry, pourtant généreux de ses insultes, a été outré du terme «vieille picouille de gauche».

Si la réception réservée à ce brûlot a été aussi vive, c'est parce que le courant souverainiste n'est manifestement pas prêt à amorcer la grande réflexion qui s'impose. C'est aussi parce que l'ex-ministre a mis le doigt sur le bobo, et que ça fait mal. Car sur le fond, en oubliant les excès de la forme, Jacques Brassard a pas mal raison.

La stratégie de campagne du chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, est pourtant claire. Il décrit surtout les dangers d'une victoire conservatrice majoritaire, en insistant sur les similitudes entre Stephen Harper et George W. Busch. Il présente son parti comme un rempart contre la montée de la droite, et invite pour cette raison les fédéralistes à l'appuyer. Un discours qui, clairement, ne met pas la souveraineté de l'avant et qui définit l'enjeu électoral comme un débat gauche-droite dans lequel son camp est celui de la gauche.

Pourquoi cette stratégie? Elle reflète les difficultés que vit le mouvement souverainiste: le très faible appui à son option, autour de 36%, et le fait, comme le note M. Duceppe lui-même, que l'indépendance n'est pas à l'ordre du jour. Le Bloc, sans l'élan de son option, et sans scandale pour le revigorer, est confronté, et ce n'est pas la première fois, à l'éternel débat sur sa pertinence. Dans ce contexte difficile, dont il est manifestement conscient, M. Duceppe a donc choisi de faire plutôt porter sa campagne sur la défense des valeurs québécoises.

Jusque-là, ça va. Ce qu'on peut se demander, c'est pourquoi il estime que ces valeurs sont intrinsèquement «progressistes», et si, sur le plan électoral, cette orientation constitue une bonne stratégie.

Une partie de l'électorat souverainiste, surtout en milieu non urbain, est issue de traditions conservatrices. C'est le départ de ces électeurs qui a provoqué l'érosion du vote souverainiste, en alimentant l'ADQ au provincial et maintenant les conservateurs au fédéral. Ce phénomène avait été analysé par le Bloc lui-même après sa débâcle dans la région de Québec aux dernières élections fédérales. Pour découvrir que le «mystère québécois» s'expliquait surtout par le fait que bien des électeurs ne se reconnaissaient pas dans une gauche du Plateau Mont-Royal.

Cette situation s'explique aussi par la faiblesse de l'option. Le mouvement souverainiste est une coalition qui a réussi à rassembler des gens aux idéologies diverses, réunis dans un équilibre délicat par un objectif commun. Sans la perspective de la souveraineté, cette coalition s'est effritée. Ceux qui gardent le flambeau, les plus militants, sont souvent issus de ce qui était la gauche de la coalition. La présence à la tête du Bloc de M. Duceppe, syndicaliste, illustre ce phénomène. Et s'il vise à gauche, c'est parce que les partisans les plus fidèles sont là.

Cela étant dit, M. Duceppe fait une mauvaise lecture de la réalité québécoise. Sa dénonciation d'une candidate conservatrice membre de l'Opus Dei est à cet égard révélatrice. Bien sûr, il voulait surtout mettre en relief l'idéologie du chef conservateur. Mais en dénonçant les idées de l'Opus Dei, il ne s'est pas attaqué à une secte évangélique du Mississippi, mais à un mouvement catholique, qui défend la doctrine de l'Église. Il y a toujours un crucifix à l'Assemblée nationale. Les Québécois estimeront-ils que le Bloc défend leurs valeurs quand il attaque les idées d'un pape qu'ils rêvaient d'accueillir à Québec pour son 400eanniversaire?