Au Québec, les libéraux fédéraux sont en mode panique. Comme le révélait hier La Presse, plusieurs membres influents du parti s'attendent à un désastre lors de la campagne électorale prochaine.

Il est évident que ça part mal pour les libéraux, surtout au Québec, où leur appui stagne à 20%. Mais soyons prudents. Il n'y a rien de plus imprévisible qu'une campagne électorale. Les élections que déclenchera incessamment le premier ministre Stephen Harper peuvent donc nous réserver des surprises.

 

Techniquement, un miracle est toujours possible. Et c'est là-dessus que comptent les partisans du chef libéral. Ils rappellent que Stéphane Dion a déjoué toutes les prévisions lors de la campagne au leadership de son parti, qu'il a remportée même si l'on ne prenait pas sa candidature au sérieux. S'il a surpris une fois, pourquoi pas deux?

L'analogie est cependant boiteuse. La dynamique d'une campagne électorale n'est pas du tout la même que celle d'une lutte au leadership. C'est la mécanique du vote à plusieurs tours, avec ses revirements et ses jeux d'alliances, qui a permis à Stéphane Dion de se faufiler entre des candidats plus lourds que lui, et de l'emporter par accident.

Un affrontement électoral est bien différent. Il n'y a pas d'accidents. Malgré ses imperfections, le système uninominal à un tour porte en général au pouvoir le parti qui mène dans la campagne. S'il veut remporter ces élections, M. Dion devra affronter le chef conservateur, un adversaire redoutable. Mais surtout, il devra, malgré son manque de charisme et son absence de sens politique, convaincre et conquérir un électorat qui ne le porte pas aux nues. C'est une grosse commande.

D'autant plus que M. Dion doit composer avec un handicap tout à fait unique. Le scénario idéal, pour bien des partisans libéraux, c'est un autre gouvernement conservateur minoritaire, parce qu'ils n'attendent que sa défaite pour pouvoir le remplacer par un leader capable de donner aux libéraux un gouvernement majoritaire. Pas facile d'aller au combat quand une partie de ses troupes ne veut pas gagner.

À cela s'ajoute un autre élément qui ne favorise pas le PLC, et c'est la sagesse populaire qui privilégie une certaine alternance du pouvoir. Les libéraux sortent d'un long règne, assez pour que les deux ans et demi passés dans l'opposition ne constituent pas, aux yeux de plusieurs, un purgatoire suffisant pour faire oublier le passé et permettre de régénérer le parti.

Au Québec, il est probable que ces obstacles seront insurmontables et que les libéraux perdront des sièges. M. Dion souffre de l'animosité d'une grande partie de l'électorat francophone à son égard, qu'il n'a pas réussi à atténuer depuis son arrivée à la tête du parti. Il doit également composer avec une dynamique politique à trois où l'affaiblissement des bloquistes nourrit la remontée conservatrice. Tout cela entraîne son parti dans un cercle vicieux, machine démoralisée, finances faméliques, difficulté de recruter des candidats, qui compromettent le succès sur le terrain.

Heureusement pour M. Dion, la campagne électorale sera canadienne, et le Québec, on le sait, n'est pas le Canada. Ailleurs au pays, la dynamique pourrait être tout autre, notamment en Ontario, qui pèsera lourd dans la balance. Ce qui pourra jouer dans la province voisine, c'est l'inquiétude que suscite la personne même de Stephen Harper et son idéologie. On le voit moins au Québec, parce que les francophones sont largement insensibles aux enjeux canadiens et retiennent surtout du programme conservateur les éléments qui leur paraissent favorables aux intérêts québécois.

Mais en Ontario, en Colombie-Britannique, dans les Maritimes, la peur de voir les conservateurs former un gouvernement majoritaire sera certainement un enjeu important. Cela favorisera la campagne de Stéphane Dion qui pourra se présenter comme un rempart contre la dérive de droite, capable de barrer la route aux conservateurs. Un discours qui peut consolider l'électorat libéral traditionnel, mais attirer aussi certains éléments conservateurs peu à l'aise avec la tendance réformiste et des néo-démocrates qui ne voudront pas diviser les voix anti-Harper.

Mais le succès d'une telle stratégie dépendra aussi de la capacité de M. Dion de bien vendre les idées qui le distinguent. Avec le virage vert, c'est assez mal parti. Il faudra voir comment les libéraux réussiront à formuler leur politique économique pour profiter du ralentissement de l'économie et attaquer efficacement le laisser-faire conservateur.

Mais dans tous les cas de figure, la stratégie qui pourrait permettre à M. Dion de marquer des points repose davantage sur la peur de voir les conservateurs l'emporter que sur un désir réel de porter à Ottawa un gouvernement libéral dirigé par Stéphane Dion.