Les grands symboles politiques tiennent parfois à un simple hasard. Dans le cas du mouvement de grève lancé par les femmes polonaises pour protester contre un projet de loi limitant d'une façon substantielle leur droit, déjà très limité, à l'avortement, ce hasard était celui... de la météo.

Le 3 octobre dernier, il pleuvait à boire debout sur la Pologne. Les 100 000 femmes qui s'étaient jointes au mouvement de protestation, ce jour-là, avaient donc pris la peine de se munir d'un parapluie.

Au lendemain de leur jour de grève, elles ont annoncé que beau temps, mauvais temps, elles n'avaient pas l'intention de ranger leurs parapluies.

Et avec raison. Car si le gouvernement a rapidement cédé à la pression de la rue, et qu'il a retiré son projet de loi, une nouvelle proposition a été depuis déposée pour examen devant le Parlement polonais.

Initiative d'un réseau pro-vie, ce projet s'avère encore plus contraignant que le précédent. Il irait jusqu'à criminaliser le recours à la contraception hormonale ! Et ne permettrait d'interrompre une grossesse que lorsque la vie de la mère est directement menacée.

« En gros, ce que ça veut dire, c'est que l'avortement ne serait permis que si la femme est déjà en train de mourir », s'indigne Marta Lempart, l'instigatrice de cette « révolution des parapluies », que j'ai jointe par téléphone, hier.

Si jamais cette nouvelle version de la réforme devait être votée, analyse Marta Lempart, un cas de grossesse extra-utérine ne justifierait pas automatiquement un avortement. Il faudrait que celle-ci mette immédiatement en danger la vie de la femme concernée.

Le gouvernement du parti Droit et Justice, qui vient pourtant de marquer un premier recul, donnera-t-il suite à ce projet ?

Jaroslaw Kaczynski, président de cette formation politique et véritable homme fort du pays, a déjà annoncé son intention de revenir à la charge avec la réforme anti-avortement, pour forcer les femmes à porter à terme des foetus non viables - afin que ceux-ci puissent être baptisés avant de mourir. Ça donne une idée de sa position sur le sujet.

Bref, le mouvement des parapluies a remporté une première bataille, au début du mois d'octobre, mais il est loin d'avoir gagné la guerre. Hier, des milliers de femmes vêtues de noir ont donc repris leurs parapluies pour tenir une nouvelle journée de grève.

Des protestations ont eu lieu dans une centaine de villes.

« C'est la première fois depuis la chute du communisme qu'un mouvement de protestation s'étend au-delà des grandes villes. Et ça terrorise le gouvernement. » - Marta Lempart, instigatrice du mouvement des parapluies

Originaire de Wroclaw, dans le sud-ouest du pays, Marta Lempart est celle qui avait lancé un mot d'ordre de « grève des femmes » à la fin de septembre. Une semaine plus tard, 100 000 femmes étaient dans la rue. « Les parapluies, ça rappelait aussi la lutte des suffragettes pour le droit de vote des femmes », explique la juriste de 37 ans.

Groupe Facebook, comités d'initiatives locales : le mouvement a grossi à la vitesse de l'éclair. Il a aussi élargi ses objectifs.

En plus de se battre pour les droits reproductifs des femmes, les manifestantes protestent aussi contre toutes les formes de discrimination fondée sur le sexe, contre le poids de l'Église en politique et aussi contre un projet de réforme de l'éducation qui « transformerait les écoles en lieux d'endoctrinement politique », selon Marta Lempart.

« Nous ne ferons pas semblant que le rôle joué par l'Église en Pologne n'est pas problématique », assure-t-elle. Dans la très catholique Pologne, ces mots sont lourds de sens.

ONZE MOIS DE RÉVOLTE

Cette « révolution des parapluies » n'est qu'un des signes de l'insatisfaction populaire par rapport au gouvernement du parti Droit et Justice, au pouvoir depuis exactement un an.

Rappelons que les législatives du 25 octobre 2015 ont marqué un double précédent au pays de Lech Walesa. Pour la première fois depuis la chute du communisme, pas un seul député de gauche n'a été élu pour siéger à la Diète, le Parlement polonais. Et pour la première fois, un parti réussissait à décrocher une majorité des sièges.

Suivant l'exemple de la Hongrie et de son homme fort, Viktor Orban, le parti gagnant, Droit et Justice, s'est empressé d'utiliser cette position de force pour lancer des réformes visant à émasculer tous les contrepoids démocratiques, tels que les médias ou le tribunal constitutionnel. Quelques semaines plus tard, les premiers manifestants descendaient dans les rues.

Inspiré par le mouvement Solidarité des années 80, le Comité de défense de la démocratie (KOD) a accueilli ses premiers membres vers la fin du mois de novembre. Aujourd'hui, sa page Facebook compte quelque 250 000 fans.

À l'ère des réseaux sociaux, il est difficile d'estimer avec précision le nombre de sympathisants du KOD, souligne son fondateur Mateusz Kijowski. « Ce qui est clair, c'est que de sondage en sondage, on constate qu'entre 35 % et 50 % des Polonais appuient nos idées. »

Qu'il s'agisse de la réforme du tribunal constitutionnel, de celle de l'éducation ou de projets de loi menaçant les droits de l'homme, le KOD est de tous les combats.

« Le parti au pouvoir n'écoute personne, ne consulte personne, ne conduit aucun débat, il poursuit son objectif de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains. » - Mateusz Kijowski, fondateur du KOD

Devant la faiblesse des partis d'opposition, le KOD constitue le véritable contrepoids aux visées totalitaires du gouvernement.

Depuis sa création, en novembre 2015, le KOD a gagné quelques batailles, en a perdu d'autres. Mais son véritable objectif est ailleurs. « Nous avons réussi à construire une société civile forte. Quand tout va bien, les Polonais ont tendance à rester tranquillement chez eux et à s'occuper de leurs affaires. Mais au cours de la dernière année, ils ont compris que leurs droits étaient concrètement menacés... »

Aux yeux de Mateusz Kijowski, la création d'un réseau de protestation sans affiliation politique particulière, c'est le grand accomplissement réalisé par ses compatriotes au cours de la dernière année. Et paradoxalement, sans les attaques gouvernementales contre la démocratie polonaise, ce mouvement n'aurait probablement jamais vu le jour.

« Maintenant, il sera difficile à arrêter... »

Photo Slawomir Kaminski, Agencja Gazeta/Reuters

Mateusz Kijowski, fondateur du Comité de défense de la démocratie (KOD), a pris part hier à la manifestation antigouvernement à Varsovie, en Pologne. Qu'il s'agisse de la réforme du tribunal constitutionnel, de celle de l'éducation ou de projets de loi menaçant les droits de l'homme, le KOD est de tous les combats.