Dans un de ces élans de puérilité narcissique dont il a le secret, Donald Trump s'était un jour demandé, sur son compte Twitter, si Vladimir Poutine lui rendrait visite lors du concours Miss Univers qu'il organisait à Moscou, en novembre 2013.

« Si c'est le cas, gazouillait-il, deviendra-t-il mon nouveau meilleur ami ? »

À l'époque, le président russe n'avait pas jugé bon de se déplacer pour serrer la pince du magnat de l'immobilier américain.

Mais depuis que celui-ci est devenu candidat républicain à la Maison-Blanche, les deux hommes ont fait étalage de leur sympathie mutuelle. Poutine est un grand leader, a déclaré Trump. Trump est un homme flamboyant, a dit Poutine.

La nature des liens entre Moscou et Donald Trump soulève toutefois des perspectives beaucoup plus troublantes que ces quelques flatteries entre deux machos aux égos démesurés.

Donald Trump est-il la marionnette du Kremlin, comme le clamait récemment le site d'information Slate ? A-t-il déjà commencé à défendre les intérêts de Moscou, comme l'affirme l'ancien directeur de la CIA Michael Morell dans le New York Times ?

En d'autres mots : son élection serait-elle le plus beau cadeau que le peuple américain pourrait donner à Vladimir Poutine ?

Aucun des experts avec lesquels je me suis entretenue cette semaine n'est prêt à accuser Vladimir Poutine de s'immiscer personnellement dans l'élection présidentielle américaine. Ni à reprocher à Donald Trump d'avoir vendu son âme à Moscou.

N'empêche : plusieurs signes indiquent que le président russe aurait beaucoup à gagner de l'arrivée au pouvoir du milliardaire américain.

Des exemples ?

- Interrogé par le réseau ABC, le 31 juillet, Donald Trump s'est dit prêt à reconnaître l'annexion russe de la Crimée, pour favoriser de meilleures relations avec Moscou. Cette annexion a placé Moscou sous le coup de sanctions internationales.

- Dans une entrevue récente au New York Times, Donald Trump avait émis des réserves sur la clause de défense mutuelle de l'OTAN. Pas sûr qu'il favoriserait la défense militaire de la Lettonie ou de l'Estonie en cas d'agression russe, par exemple. Une déclaration on ne peut plus rassurante pour Moscou... et inquiétante pour les pays de l'OTAN.

- Lors du dernier congrès républicain à Cleveland, le parti a effacé de son programme la référence à l'armement de l'Ukraine dans le cadre du conflit qui l'oppose aux rebelles prorusses dans l'est du pays.

- Dans une autre entrevue, Trump a défendu Poutine contre ceux qui l'accusent d'éliminer physiquement ses opposants. « Je n'ai rien vu de tel », a-t-il assuré.

- Et c'est sans oublier son ineffable invitation aux services de renseignement russes à « pirater les comptes d'Hillary Clinton », dans la foulée du piratage des courriels du Parti démocrate - attribuable à des pirates russes.

***

Toutes ces déclarations ont-elles un lien avec l'arrivée dans le sérail du candidat républicain de quelques conseillers proches de la Russie - ou traînant un passé russe dans leurs bagages ?

Le plus connu est Paul Manafort, lobbyiste qui a conseillé de nombreux dictateurs, de Mobutu Sese Seko dans l'ancien Zaïre à Ferdinand Marcos aux Philippines, en passant par une belle brochette de dirigeants infréquentables.

En 2010, Paul Manafort a contribué à l'élection de Viktor Ianoukovitch, ex-président prorusse de l'Ukraine. Or, aujourd'hui, ce sexagénaire ultrabranché dirige la campagne présidentielle de Donald Trump.

Celui-ci a aussi fait appel aux services du banquier Carter Page, à titre de conseiller en politique étrangère. L'homme a vécu à Moscou, où il a mis sur pied le bureau de Merrill Lynch, en 2004.

Par la suite, Carter Page a agi comme conseiller auprès de Gazprom, la grande société gazière russe dont il est actionnaire minoritaire. Et qui est sous le coup des sanctions internationales dans la foulée du conflit ukrainien...

Un autre conseiller de Donald Trump, Richard Burt, détient également des intérêts indirects dans Gazprom et siège au conseil d'Alfa Bank, une banque commerciale russe.

***

Personne ne peut dire avec certitude que ces proches de Donald Trump l'ont poussé à changer sa vision de l'Ukraine. Ou qu'ils travaillent dans l'ombre pour faire lever les sanctions qui pèsent contre la Russie.

« Trump n'a pas formulé de politique internationale claire pendant sa campagne et n'a pas cessé de se contredire à ce sujet, il est donc difficile d'identifier un changement », souligne Alina Polyakova, chercheuse au centre eurasien de l'Atlantic Council, à Washington.

Mais elle juge que les liens russes de Paul Manafort et Carter Page sont « extrêmement troublants et sans précédent dans la politique américaine ».

« Officiellement, Poutine affiche une attitude neutre. Mais il n'y a aucun doute que les politiques affirmées par Trump, comme la reconnaissance de l'annexion de la Crimée ou le retrait de l'OTAN, correspondent parfaitement aux intérêts géopolitiques russes », fait valoir Alina Polyakova.

Tout en se gardant de déceler une ingérence russe directe dans la campagne de Donald Trump, le politologue Julien Tourreille, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, signale que l'ambassadeur de la Russie à Washington a assisté à un rassemblent partisan du candidat républicain, ce qui lui paraît « inhabituel ».

Sans tirer toutes les ficelles, Vladimir Poutine mise peut-être simplement sur Donald Trump pour « miner la crédibilité des États-Unis » et affaiblir l'OTAN.

« Vladimir Poutine ne laisse pas passer une occasion de renforcer le pouvoir d'influence de la Russie », confirme Daniel Caron, ex-ambassadeur du Canada à Kiev, qui enseigne la politique internationale à l'Université Laval.

En d'autres mots, ce n'est pas Poutine qui a créé Donald Trump. Mais il utilise l'arrivée de cet improbable candidat comme une occasion de redorer son propre blason sur la scène internationale.

Comme le dit Alina Polyakova, « ce n'est pas le gouvernement russe, mais le peuple américain, qui déterminera l'issue de la prochaine élection présidentielle ; mais cela ne signifie pas que les Russes ne brassent pas la soupe de temps en temps »...