Aminata Traoré est tombée des nues quand elle a su que le Canada avait refusé de lui délivrer le visa qui lui aurait permis d'assister au Forum social mondial de Montréal, cette semaine.

L'ex-ministre, militante et auteure malienne a pourtant visité le Canada à plusieurs reprises. À l'occasion des Journées québécoises de la solidarité internationale, en 2010, par exemple. Ou comme membre d'un jury lors d'un festival musical.

« J'ai voyagé au Canada à quatre reprises au moins, sans aucun problème », s'étonne la candidate controversée au poste de secrétaire général de l'ONU.

Mme Traoré devait participer, ce soir, à une conférence au sujet de deux de ses livres - L'Afrique mutilée et Les désenfantées, écrits en collaboration avec Nathalie M'Dela Mounier. L'évènement devait avoir lieu à la librairie Le Port de tête. Elle était prête à sauter dans l'avion, mardi matin. C'était sans compter avec un agent des visas de l'ambassade canadienne à Dakar, au Sénégal, qui l'a jugée indigne de fouler le sol canadien.

« Je ne vois aucune raison pour justifier ce refus, c'est absurde, et encore une fois, c'est l'Afrique qui trinque. Pensez-vous que le Mali pourrait refuser d'accueillir un ancien ministre canadien ? », dit Aminata Traoré.

Les Africains sont en effet nombreux parmi les quelque 220 « refusés » du Forum social mondial. Ils sont suivis par les Latino-Américains et les Asiatiques. Parmi ces « indésirables », on trouve un groupe de 15 Népalais, professeurs et militants des droits de la personne. La juriste brésilienne Thenna Maso, qui oeuvre au sein d'un réseau de lutte contre les barrages. Un sénateur malaisien, Charles Santiago, qui proteste contre l'accord de Partenariat transpacifique. Et des militants altermondialistes congolais, boliviens, palestiniens, haïtiens, qui se battent contre les entreprises d'extraction, le pouvoir des multinationales et, plus globalement, l'ordre économique établi.

Selon Raphaël Canet, coordonnateur du Forum de Montréal, les refus étaient généralement justifiés par l'insuffisance des moyens financiers des invités et la non-pertinence de leur voyage.

À Immigration Canada, on explique que chaque agent des visas juge au cas par cas. Et qu'il doit s'assurer que le demandeur a de bonnes raisons de venir au Canada, et des moyens pour y survivre jusqu'à la fin de son séjour.

Dans les faits, derrière ces critères à géométrie variable se profile une grande crainte : celle que des invités profitent de leur passage à Montréal pour y rester.

C'est vrai que des visiteurs participant à des rassemblements internationaux décident, parfois, de ne pas rentrer chez eux. Ainsi, aux Jeux de Vancouver, en 2010, sept athlètes camerounais se sont volatilisés. Les Jeux olympiques constituent d'ailleurs une occasion en or pour des défections - ce n'est pas une raison pour bannir les athlètes des pays les plus « à risque ».

Il faut comprendre, aussi, que les participants et conférenciers du Forum social mondial sont, pour la plupart, des gens engagés dans leur milieu, ils se battent pour les droits des femmes, contre des sociétés minières, pour la défense des minorités, etc. Comme Aminata Traoré, ce sont des gens qui jouent un rôle important dans leur communauté. Ils n'ont pas tous désespérément envie de refaire leur vie au bord du Saint-Laurent...

Il peut arriver que des visiteurs occasionnels demandent asile au Canada. Ce n'est ni illégal ni immoral. Et nous avons les mécanismes nécessaires pour évaluer ces demandes.

Il y a quelques années, Ottawa a refusé d'accorder des visas à des militants gais ougandais, dans le cadre d'une conférence de la World Pride, craignant qu'ils n'en profitent pour demander la protection du Canada. L'Ouganda est l'un des pays qui répriment le plus durement les minorités sexuelles. Si ces militants avaient cherché refuge au Canada, où est le mal ?

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Le premier Forum social mondial a eu lieu à Porto Alegre, au Brésil, en 2001. L'idée était de rassembler des agents de la société civile internationale pour faire contrepoids au Forum économique mondial de Davos.

Depuis, cette grande messe altermondialiste s'est tenue en Inde, au Kenya, au Sénégal, en Tunisie, au Venezuela. Pour la première fois, cette année, les organisateurs de l'évènement ont choisi de le tenir dans un pays du Nord.

Et voilà qu'en se barricadant derrière le mur des visas, le Canada a illustré l'un des grands maux que l'on dénonce dans les Forums sociaux : la fracture entre le Nord et le Sud. Et l'inaccessibilité des pays du Nord pour les citoyens de l'hémisphère méridional...

« Nous espérions créer un nouveau dialogue entre le Nord et le Sud, mais déjà, des voix se font entendre pour que le prochain Forum se tienne dans le Sud », a dit Raphaël Canet, coordonateur du Forum de Montréal.

On les comprend, ces voix. Au moins, comme ça, tous les invités pourront arriver à destination...

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Mauvais départ pour le Forum de Montréal, qui s'est retrouvé plongé dans une autre controverse. Parmi les 1300 activités inscrites à son programme figurait un atelier sur « Le terrorisme, le wahhabisme et le sionisme ». L'illustration accompagnant la description de l'atelier montrait un personnage au nez crochu, portant un chapeau orné d'une étoile de David.

Deux députés libéraux, Anthony Housefather et Michael Levitt, ont lancé les hauts cris devant cette annonce associant sionisme et terrorisme, et tombant dans les pires clichés antisémites.

Ils ont eu raison de s'indigner. Et les organisateurs du Forum se sont empressés d'annuler l'atelier. « C'était une erreur de l'avoir laissé passer dans notre programmation, il ne correspondait pas à la charte des principes du Forum », explique Raphaël Canet.

Une charte qui, selon lui, rejette toute discrimination ou tout appel à la haine.

Faut-il maintenant aller plus loin et couper tout financement public du Forum ? Je vous rappelle que c'était l'une des 1300 activités du Forum. Que les organisateurs de l'évènement ont fait amende honorable. Et que le Forum a, dans le passé, fait ses preuves comme lieu d'échange sur les maux qui affligent notre planète.

Personnellement, je suggère que l'on tourne la page sur ce regrettable dérapage.