Juché sur un escabeau dans le Speakers' Corner de Hyde Park, à Londres, Matthew Palmer se déchaîne contre les méfaits de l'Union européenne. Trop de contrôles. Trop de bureaucrates. Pas assez de démocratie.

Échevelé, la chemise mal boutonnée, il brandit sa pancarte « Vote Leave » en criant : « Il y a cinq présidents au sein des différents ordres de gouvernement européen, et je n'ai jamais eu l'occasion de voter pour un seul d'entre eux ! » Faux, rétorque un badaud qui somme le quinquagénaire d'allégeance conservatrice de citer les noms des cinq leaders. Suit un échange assez loufoque au cours duquel Matthew Palmer essaie de démêler les noms et les fonctions des divers leaders de l'UE. Finalement, il parvient à en identifier trois.

« Et les deux autres ? », insiste le badaud. Avant de faire valoir que lui non plus n'a jamais vu le nom de l'actuel premier ministre britannique David Cameron sur un bulletin de vote. « Pour la simple raison qu'il ne se présentait pas dans ma circonscription, c'est la même chose pour les élections européennes ! »

La campagne référendaire qui décidera du maintien ou de la sortie de la Grande-Bretagne de l'UE a repris hier, après avoir fait une pause de deux jours, en signe de respect à la suite du meurtre de la députée travailliste Jo Cox.

Dans le coin des orateurs du grand parc londonien, la tension était vive, mais il y avait aussi de l'humour.

« Mais qu'est-ce qu'il vous faut de plus, vous, les Britanniques ? Déjà que vous conduisez du mauvais côté de la route, que vous avez la livre sterling et que vous portez des vêtements bizarres dans les cérémonies officielles », a demandé en souriant Mariana From, Danoise venue passer le dernier week-end de la campagne référendaire à Londres pour militer en faveur du « Remain ».

Deux cents mètres plus loin, des partisans pro-UE ont été invités à former un immense « IN » au sol, pour une séance de photo aérienne. Entre le coin des orateurs et la manif pro-européenne, j'ai pu recueillir un bel assortiment d'arguments brandis par les deux camps.

En première place du côté des « OUT » : la souveraineté prétendument écorchée de la Grande-Bretagne. « Dans les années 70, on parlait d'un marché commun. Aujourd'hui, l'Europe est en train de se transformer en un véritable pays, et moi, je ne veux pas aller dans cette direction », s'indignait Matthew Palmer.

Brandissant une carte de l'Europe, un vieil homme essayait de convaincre les passants que la Grande-Bretagne est le pays le plus densément peuplé de la planète et qu'il n'a pas de place pour accueillir de nouveaux immigrants. « Ce n'est pas une question de race, mais de place. »

Des partisans du « IN » évoquaient plutôt les valeurs humanistes, la modernité d'un monde sans frontières et les conséquences potentiellement nocives d'une sortie de l'UE.

Lucy Furlonge, chef cuisinière de 36 ans, ne pense pas que sa vie se transformera brutalement au lendemain d'un vote favorable au Brexit. « Pour moi, c'est surtout une question émotive, je ne veux pas vivre dans un pays xénophobe. »

« Mes enfants communiquent avec des jeunes de toute la planète, on ne peut pas reconstruire des murs au XXIe siècle », a dit le père de deux adolescentes qui avaient pris leur place dans une patte du « N » pour la photo aérienne.

Mariana et Henrik From, les deux Danois venus donner un coup de main à la campagne pro-européenne, ne pourront pas voter jeudi. Mais ils craignent que la victoire du camp du « OUT » ne précipite leur propre pays dans le même genre de consultation existentielle.

Derek Moore, homme d'affaires à la retraite, en avait contre la désinformation qui a marqué la campagne du « OUT ». « Les gens blâment l'Union européenne pour sa réglementation, mais toute seule, la Grande-Bretagne aura aussi besoin de règlements. »

Il juge que les partisans du « OUT » s'illusionnent dans leur quête de souveraineté. « On ne peut pas reprendre le contrôle de notre pays si nous perdons tout contrôle du continent européen. »

Entre les deux camps, Abdul Sesay n'arrivait pas à se faire une tête. Originaire de la Sierra Leone, il est arrivé à Londres il y a 14 ans. L'immigration, il connaît. Mais en même temps, à ses yeux, « les Africains savent comment s'intégrer ». Ce n'est pas comme ces centaines de milliers de migrants est-européens qui, selon lui, sont en train de vider les ressources sociales du pays...

Exception faite de cette confrontation verbale sous un soleil quasi estival, Londres ne donnait aucun signe de fièvre préréférendaire, hier. Pas d'affiches « pour » ou « contre » le maintien de liens avec l'UE. Quelques déclarations politiques ici et là. Le premier ministre Cameron a affirmé qu'en choisissant de quitter l'Union, ses compatriotes s'auto-infligeraient une grande humiliation. Et le ministre de la Justice Michael Gove a présenté un vote pro-Brexit comme un vote pour la démocratie. Mais rien pour rappeler que le Royaume-Uni est à la veille de prendre une décision aussi cruciale.

Seul événement marquant de cette campagne relancée, les sondages ont recommencé à bouger - ce que certains ont attribué à l'effet de l'assassinat de Jo Cox.

Après avoir donné le camp anti-UE gagnant pendant plusieurs jours, deux sondages ont placé le camp des « pro-UE » légèrement en avance. Et un troisième les place au coude à coude : 44 % chacun.

Le suspense se poursuit.