Imaginez qu'un ministre important du cabinet fédéral, disons celui de la Défense, décide un beau matin de claquer la porte du gouvernement, pour marquer un profond désaccord.

Supposons qu'il explique sa rupture par des fractures profondes, autant morales que professionnelles. Et qu'il reproche à des éléments extrémistes dangereux d'avoir pris le contrôle de l'État.

À l'échelle canadienne, ce serait suffisant pour provoquer un cataclysme politique. Or, ce scénario s'est produit en Israël, vendredi dernier, quand Moshe Ya'alon, ministre de la Défense et député du Likoud, a annoncé qu'il abandonnait ces deux postes. Un geste de rupture qui a soulevé une tempête dont les vagues sont pratiquement retombées, moins d'une semaine plus tard.

« J'ai lutté de toute ma force contre les manifestations d'extrémisme, de violence et de racisme en Israël », a dit l'ex-ministre de la Défense en expliquant sa décision. Celle-ci vient en quelque sorte sceller son sentiment d'impuissance face à un gouvernement de plus en plus soumis à ces courants haineux.

Quelques jours plus tôt, c'était le chef d'état-major adjoint de l'armée israélienne, Yaïr Golan, qui lançait une dénonciation incendiaire. « S'il y a une chose qui me terrifie par rapport à la mémoire de la Shoah, c'est de voir les tendances atroces qui se sont développées en Europe en général, et en Allemagne en particulier, il y a 70, 80 ou 90 ans, et de constater des indices de ces tendances parmi nous en 2016 », avait-il déclaré une semaine avant la démission de « son » ministre.

Une affirmation d'autant plus choquante qu'elle était prononcée la veille du jour de commémoration de la Shoah, et qu'elle touchait, forcément, des cordes ultrasensibles dans l'opinion publique.

Le général Golan, qui comparait la haine contre les Juifs en Allemagne nazie à la haine qui vise les Arabes en Israël, a fini par rétropédaler, mais entre-temps, le ministre Ya'alon avait pris le temps de soutenir son droit à exprimer ses opinions. Avant de quitter le gouvernement avec fracas...

Je vous rappelle que Yaïr Golan et Moshe Ya'alon ne sont pas des militants gauchistes qui se promènent une fleur entre les dents. Le premier est un militaire de haut rang de Tsahal. Le second a été élu sous la bannière du Likoud, un parti campé à la droite de l'échiquier politique israélien. Aujourd'hui, il déplore que des « éléments radicaux » aient pris le contrôle du gouvernement, mais aussi de son propre parti.

Les suites de sa démission illustrent bien cette radicalisation. Car celui qui lui succédera dans son poste de député, Yehuda Glick, est un leader du mouvement visant à autoriser les croyants juifs à aller prier sur l'esplanade des Mosquées - lieu saint musulman au coeur de la vieille ville de Jérusalem, que les juifs désignent comme le mont du Temple.

Il n'y a pas si longtemps, ce mouvement, qui met en danger un fragile équilibre religieux dans la Ville sainte, rejoignait tout juste une poignée d'illuminés. « Aujourd'hui, ils sont beaucoup plus près du courant idéologique dominant en Israël », constate l'analyste Yossi Alpher.

Les émules de Yehuda Glick organisent des marches vers le mont du Temple, un couple y a même récemment tenu un mariage juif - avec tous les risques que de tels actes peuvent poser en ce lieu hautement explosif.

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Le premier ministre français Manuel Valls, actuellement en tournée au Proche-Orient pour promouvoir l'initiative de médiation de son gouvernement, aurait intérêt à feuilleter ce livre avant la rencontre prévue pour le 3 juin.

L'auteur y conclut que même si de plus en plus d'Israéliens sont mal à l'aise par rapport à l'occupation de la Cisjordanie, une majorité d'entre eux ne sont absolument pas prêts à la création d'un État palestinien.

Que faire, alors, avec les 2,5 millions de Palestiniens de Cisjordanie ? « Il y a beaucoup de créativité sur cette question », dit Yossi Alpher. Certains affirment que les estimations démographiques surévaluent largement le nombre de Palestiniens, et que l'État israélien pourrait très bien annexer les territoires qu'il occupe sans mettre en danger la majorité juive.

D'autres suggèrent de leur octroyer certains droits politiques, mais pas celui de voter à l'échelle nationale. D'autres encore imaginent que l'Égypte pourrait reprendre la bande de Gaza, ou que les Palestiniens de Cisjordanie pourraient devenir citoyens de la Jordanie.

« Et puis il y a tous ceux qui croient qu'il suffirait de leur donner assez d'argent pour les faire taire », note encore Yossi Alpher.

Tous ces fantasmes ne créent pas un terrain propice pour des négociations qui ont déjà échoué à plusieurs reprises... Un gouffre tout aussi profond sépare les perceptions dominantes du côté palestinien de la réalité israélienne.

« La solution des deux États n'est pas envisageable, ni dans l'immédiat ni dans un avenir prévisible », tranche l'analyste.

Ce dernier n'a pas de solution miracle dans sa poche. Mais il propose minimalement ceci : arrêter de faire semblant que le processus de paix lancé il y a plus de deux décennies à Oslo peut encore être ressuscité. Mettre de côté cette grande illusion et reprendre la discussion à partir de là.

PHOTO SEBASTIAN SCHEINER, ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre français Manuel Valls est actuellement en tournée au Proche-Orient pour promouvoir l’initiative de son gouvernement de mettre en place un énième processus de négociations israélo-palestiniennes.