Ils sont 15 000 à croupir depuis six semaines à Idomeni, micro-bourgade grecque à la frontière de la Macédoine.

Ils y dorment sous des bâches ou dans des tentes primitives, à même le sol. La nuit, ils gèlent. Quand il pleut, ils finissent par baigner dans la boue.

Mais le pire, ce ne sont pas tant ces conditions de vie que Jonas Hagensen, responsable des communications pour Médecins sans frontières, décrit comme inhumaines. Le pire, c'est que ces migrants qui ont traversé la mer Égée pour se heurter à une frontière fermée n'ont pas la moindre idée du sort qui les attend.

Ce sont un peu les oubliés de l'accord conclu entre la Turquie et l'Union européenne pour mettre fin à ces périlleuses traversées. En vigueur depuis le 20 mars, il permet à la Grèce de renvoyer vers la Turquie une partie des nouveaux arrivants. Ceux, notamment, qui n'auraient pas fait leur demande d'asile en Grèce.

Mais les migrants d'Idomeni, eux, sont arrivés avant le 20 mars. Comme des centaines de milliers d'autres qui les avaient précédés, ils ont emprunté la route du nord - quand la Macédoine leur a brutalement fermé ses portes.

Les 15 000 voyageurs d'Idomeni, mais aussi 35 000 autres migrants qui cherchent à quitter la Grèce pour traverser les Balkans, ne sont pas visés par l'accord UE-Turquie. Ils devraient donc pouvoir échapper à l'expulsion. Mais ils n'ont pas non plus accès à un plan de relogement en Europe. Ni même à une procédure pour enregistrer leur demande d'asile. Ils sont complètement dans les limbes.

Le camp d'Idomeni était conçu pour recevoir quelque 1500 personnes. Il y en a 10 fois plus. Les informations sont confuses, les rumeurs abondent et la frustration est à son comble. Pas étonnant que des centaines de désespérés se soient rués sur le poste frontière, dimanche, pour essayer de forcer le passage. Ils ont été accueillis à coups de gaz lacrymogènes et de balles de plastique...

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Les migrants arrivés depuis le 20 mars ne sont pas plus avancés. Plus de 4000 d'entre eux sont enfermés dans deux centres de détention, dans les îles grecques de Lesbos et de Chios.

Des représentants d'Amnistie internationale (AI) ont visité ces deux centres et en ont rapporté des images et des histoires extrêmement dérangeantes. « Ces réfugiés sont piégés sans aucune lumière au bout du tunnel, écrit AI dans un rapport publié la semaine dernière.

L'un de ces deux camps, celui de Moria, dans l'île des Lesbos, est en réalité une prison surpeuplée et coupée du monde par un enchevêtrement de clôtures et de barbelés. Amnistie internationale y a rencontré des femmes dans un stade avancé de grossesse, de très jeunes enfants, des civils blessés dans des bombardements, des gens souffrant de traumatismes psychologiques, relate le porte-parole Conor Fortune. Des gens qui ne devraient en aucun cas être gardés en détention et qui manquent cruellement de services médicaux.

La vaste majorité de ces nouveaux arrivants craignent un renvoi en Turquie comme la peste. Certains ont déjà eu l'occasion de goûter aux méthodes de la police turque. Ils ont été battus par des gardes-frontières, ou visés par leurs tirs alors qu'ils tentaient de rejoindre la Turquie, comme ils l'ont confié à Amnistie internationale.

La plupart de ces rescapés de la mer souhaitent faire leur demande d'asile en Grèce, conformément à l'accord Turquie-UE. L'ennui, c'est qu'il n'y a pratiquement personne pour traiter leur dossier. Selon le rapport d'AI, au centre VIAL, dans l'île de Chios, l'unique représentant du gouvernement grec a pu traiter 10 dossiers sur les 833 en attente ! C'est dire à quel point les ressources sont insuffisantes.

Si leur requête devait finir par être rejetée, ces demandeurs d'asile risquent d'être renvoyés en Turquie - pays qui n'hésite pas à expulser Syriens et Afghans vers leur pays d'origine, comme l'a documenté AI dans une autre enquête.

« Avec l'impréparation absolue de la Grèce et les rapports troublants sur la Turquie, l'accord turco-européen ouvre la porte à des violations massives des droits de la personne », résume Conor Fortune.

Tout ça alors que les migrants cherchent de nouveaux moyens de rejoindre l'Europe. Dans la seule journée d'hier, les garde-côte italiens ont secouru 1850 naufragés dans le canal de Sicile, entre l'Italie et la côte libyenne. Une route infiniment plus dangereuse que celle de la mer Égée.

Autrement dit : plus on bouche les routes vers l'Europe, plus on fait courir de risques à ceux qui sont prêts à tout pour trouver une terre d'asile.