C'est une histoire surréaliste comme il n'en arrive qu'en Libye - ce pays de plages et de désert où des milices aux filiations complexes s'entredéchirent depuis bientôt cinq ans.

Il y a neuf jours, Fayez al-Sarraj, architecte et homme d'affaires libyen, a accosté dans une base navale de Tripoli à bord d'un bâtiment militaire, à titre de chef d'un nouveau gouvernement d'union nationale. Soutenu par l'ONU, il tire sa légitimité des accords de réconciliation conclus en décembre, au Maroc.

Petit problème : après avoir semblé disposé à lui céder sa place, le premier ministre en poste à Tripoli depuis l'été 2014, Khalifa Gweil, est revenu sur sa décision hier.

Le deuxième gouvernement libyen, celui qui était jusque-là reconnu par la communauté internationale et qui s'était replié à Tobrouk, dans l'est du pays, n'a pas encore reconnu, lui non plus, l'autorité des nouveaux dirigeants.

Au moment où j'écris ces lignes, trois entités différentes se disputent donc le pouvoir dans ce pays qui a émergé de 40 ans de dictature pour sombrer dans le chaos. L'une a l'appui de l'ONU et des pays voisins, l'autre refuse de céder son ancienne légitimité internationale, et la troisième s'accroche à un pouvoir qu'elle a imposé par les armes...

Et c'est sans parler du groupe État islamique (EI), qui contrôle la ville de Syrte, fief de l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi - et qui constitue, de facto, un quatrième pouvoir à clamer son autorité sur une parcelle de ce pays malmené.

L'imbroglio est extrêmement complexe. « Je serais prétentieux d'essayer de donner du sens à ce que plus aucun Libyen n'arrive à comprendre », m'a avertie un des grands spécialistes de ce pays, Luis Martinez, du Centre de recherches internationales de Sciences Po, à Paris...

Et pourtant, les experts de la Libye, y compris Luis Martinez, s'entendent pour dire que les derniers développements constituent la première lueur d'espoir que ce pays ait connue depuis des lustres.

Car le nouveau gouvernement de Fayez al-Sarraj peut compter sur l'appui de la Banque centrale libyenne, de la compagnie pétrolière nationale, des députés de Tripoli et des milices qui règnent sur la capitale depuis août 2014.

« Ce sont des appuis sérieux de gens qui veulent tous sortir de l'impasse », constate Luis Martinez.

Les vrais nuages qui menacent la réconciliation libyenne se trouvent plutôt du côté de Tobrouk. Tant que le gouvernement qui y siège ne reconnaîtra pas les nouvelles autorités, le processus de réconciliation restera bloqué. Et le blocage tourne surtout autour du rôle que le gouvernement d'union nationale accordera à Khalifa Haftar, chef militaire de l'est du pays qui n'a pas beaucoup d'amis à Tripoli.

Faire rentrer les gens de Tobrouk dans le giron du gouvernement d'union nationale, c'est le premier défi que devra relever Fayez al-Sarraj. L'autre défi, c'est celui de transformer les 200 000 milices armées en « acteurs sociaux » légitimes, ajoute Luis Martinez.

Les membres de ces milices, qui ont pris les armes après la chute du régime Kadhafi, recevaient jusqu'à récemment un salaire mensuel pouvant atteindre 3000 $, en plus d'une maison et d'une auto. Le nouveau gouvernement continuera-t-il à leur accorder des conditions aussi enviables ? Quel rôle leur confiera-t-il ?

L'arrivée à Tripoli du nouveau chef du gouvernement d'union nationale reste un « pas positif », selon Miloud Chennoufi, professeur au Collège des Forces canadiennes de Toronto.

Le fait que les pays voisins, comme l'Algérie, la Tunisie et le Maroc, travaillent à stabiliser la Libye le rend optimiste. C'est tout le contraire de la Syrie, où les acteurs régionaux ont contribué à attiser le conflit.

Mais son optimisme reste prudent. L'accord d'union nationale aura encore mille occasions de trébucher. Et même s'il finit par s'étendre à toute la Libye, celle-ci ne se normalisera pas du jour au lendemain. « Le mieux que l'on puisse espérer, c'est un équilibre instable comme celui que connaît le Liban depuis la fin de la guerre civile. »

Le cas échéant, ce sera infiniment mieux que ce que la Libye connaît aujourd'hui. Et surtout, que ce qu'elle pourrait connaître si le chaos devait perdurer.

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Ces développements sont complexes, la situation en Libye est difficile à suivre - et pourtant, nous avons des tas de raisons de nous intéresser à ce pays, dont les plages sont situées à 300 kilomètres de la côte italienne.

La Libye, c'est le point de départ de milliers de migrants en route vers l'Europe. C'est aussi un des foyers du groupe État islamique qui essaie d'étendre son territoire depuis Syrte, avec toute la menace que cela peut représenter pour l'Europe.

Nous devrions nous intéresser à ce pays également parce qu'il pourrait être la prochaine cible d'une intervention militaire internationale visant l'EI. Et que le cas échéant, il n'est pas exclu que le Canada participe à cette offensive.

Il y a quelques mois, le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, a affirmé que le Canada ne participerait à aucune intervention en Libye tant que celle-ci ne jouirait pas d'un gouvernement fonctionnel. Ce gouvernement est peut-être, justement, en voie de formation.