Manifestations massives et démission du premier ministre en Islande. Accusations de complot antirusse à Moscou. Censure tous azimuts en Chine. Enquête fiscale en Ukraine. Dénégations en Argentine.

Les révélations des « Panama Papers » provoquent des contrechocs politiques du nord au sud, de l'ouest à l'est de la planète. Quant aux retombées de ce mégascandale international, elles varient selon le degré de démocratie des pays concernés...

Les 11,5 millions de documents épluchés par le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) éclaboussent plusieurs dirigeants en poste. Parmi eux : le président argentin Mauricio Macri, le roi Salmane d'Arabie saoudite, le président ukrainien Petro Porochenko - et le désormais ex-premier ministre d'Islande Sigmundur David Gunnlaugsson.

Au moins huit membres du Bureau politique du Parti communiste chinois ont ouvert des sociétés-écrans dans des paradis fiscaux, révèle la méga-enquête, qui montre du doigt le beau-frère du président Xi Jinping.

Au tableau de chasse du Consortium on retrouve aussi le fils de l'ex-président égyptien Hosni Moubarak, la première famille d'Azerbaïdjan, des cousins du président syrien Bachar al-Assad, le père du premier ministre britannique David Cameron et même le fils de l'ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan.

Selon une estimation récente, celle de l'investisseur américain Bill Browder, le président russe aurait amassé un magot de 200 milliards au cours de ses 16 années de pouvoir. Ce qui en ferait l'homme le plus riche de la planète - loin devant Bill Gates et ses 79 milliards !

Ce n'est évidemment que ça : une estimation. Mais les révélations des Panama Papers donnent une idée du système de magouillage généralisé qui a permis au président russe de dissimuler ses avoirs. Et au coeur de ce stratagème, il y a son meilleur ami, le violoncelliste Sergueï Roldouguine.

Ce musicien avait 26 ans quand il a rencontré Vladimir Poutine à Saint-Pétersbourg, qui s'appelait alors Leningrad, dans les années 70.

« Nous nous sommes rencontrés pour ne plus jamais nous quitter, il est comme un frère pour moi », raconte le président russe dans son autobiographie, À la première personne.

Après quelques années d'amitié potache, les deux amis prennent des chemins différents. L'un se lance à la conquête du pouvoir. L'autre gravit les échelons, devient violoncelliste soliste et directeur du Conservatoire de Saint-Pétersbourg.

Leur amitié se poursuit. C'est Sergueï Roldouguine qui présente à Vladimir Poutine l'hôtesse d'Aeroflot Lioudmila, qui va devenir sa femme. Il sera aussi parrain de la fille cadette du couple.

Il y a deux ans, le violoncelliste se décrivait au New York Times comme un homme vivant avec des moyens modestes. Une vision que contredisent brutalement les documents panaméens. D'après l'enquête de l'ICIJ, Sergueï Roldouguine a des liens avec sept sociétés extraterritoriales enregistrées au Panamá, dont Sunbarn, International Media Overseas, Sonnette Overseas, Raytar ou Sandalwood Continental. Ces entreprises ont en commun d'être rattachées à Bank Rossiya - la banque des oligarques russes.

Dans une transaction mise au jour par l'enquête de l'ICIJ, Sandalwood Continental a acheté des actifs pour 1 $, pour les revendre pour 133 millions trois mois plus tard. Dans une autre transaction, International Media Overseas a vu une dette de 6 millions réduite à 1 $ trois mois après l'avoir contractée...

Ces entreprises sont également reliées à la Banque commerciale russe (RCB), installée à Chypre, et qui a participé à plusieurs de ces montages financiers.

D'autres noms de proches de Vladimir Poutine émergent dans les documents divulgués cette semaine. Mais le rôle de son ami musicien, comme potentiel homme de paille du président, apparaît comme crucial dans l'écheveau financier qui a permis de détourner jusqu'à 2 milliards de la Russie.

Il y a quatre ans, Vladimir Poutine avait prétendu se lancer dans une vaste opération anticorruption, appelant politiciens et apparatchiks à la plus grande transparence.

Une campagne anticorruption a officiellement cours en Chine, et même au Panamá - pays qui refuse pourtant de partager ses données fiscales, malgré les demandes répétées du groupe des pays du G20 et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Les révélations des Panama Papers montrent que les campagnes officielles contre la corruption peuvent servir d'écran à des détournements de fonds massifs. Que la corruption n'a pas de frontières et ne suit aucune ligne idéologique. Et que les sanctions internationales, comme celles que l'Occident a décrétées contre la Russie après l'annexion de la Crimée, ont peu de poids devant les stratagèmes et cachotteries financières des « hommes du président » russe.

Ce scandale permet aussi, et surtout, de faire mentir tous ceux qui prédisent le déclin, sinon la mort imminente du journalisme...