Dans l'émoi qui a suivi les attentats du 13 novembre, le président François Hollande s'était solennellement engagé à faire adopter une réforme qui aurait permis de priver de la nationalité française les citoyens binationaux coupables de terrorisme.

Ce projet a tenu la France en haleine pendant quatre mois. Il a mobilisé la classe politique autour d'un texte réécrit à trois reprises, provoqué des débats surréalistes et causé des fissures au sein même du gouvernement, culminant avec le départ fracassant de l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira.

Hier, la réforme est morte de sa belle mort, ajoutant une nouvelle couche à l'impopularité abyssale du président socialiste.

« C'est une défaite cuisante, [...] un échec politique majeur », écrit le site d'information Médiapart. « La déchéance de nationalité fait pschitt », titre avec un brin de condescendance le journal Le Parisien.

C'est le président socialiste lui-même qui a dû déclarer forfait, incapable de réunir une majorité constitutionnelle derrière son projet. Et c'est tant mieux, car celui-ci ne tenait tout simplement pas la route.

Depuis 1945, cette procédure ne vise plus que les auteurs de crimes menaçant les intérêts nationaux de la France, nés à l'étranger, naturalisés français et détenant toujours une autre citoyenneté. Depuis 20 ans, cette sanction a été infligée à 13 reprises...

Ébranlé par la tragédie du 13 novembre, François Hollande a voulu aller encore plus loin, en étendant le mécanisme aux personnes nées en France - et dotées d'une double citoyenneté.

Mesure discriminatoire qui va créer deux classes de citoyens, les binationaux et les autres, a-t-on dénoncé dans le coin gauche du spectre politique. Le président Hollande a alors décidé de reformuler son projet, en retirant la référence à la double citoyenneté.

Cette fois, l'onde de choc est venue de la droite : mais que fera-t-on, le cas échéant, des criminels déchus de leur citoyenneté et devenus apatrides ? Où donc les expulsera-t-on ?

Déchoir tout le monde, au risque de se retrouver avec des condamnés apatrides. Ou déchoir les binationaux seulement, au risque de les stigmatiser. Le débat sémantique sur le projet de révision constitutionnelle a tourné autour de cette équation insoluble. Avant de s'abîmer au Sénat, la semaine dernière, forçant le gouvernement à enterrer cette réforme improvisée et biscornue.

Quand elle a quitté le gouvernement de Manuel Valls, à la fin du mois de janvier, Christiane Taubira a critiqué le projet en soulignant qu'il entrait en collision avec le principe du « droit du sol » (citoyenneté établie en fonction du territoire habité et non en fonction des origines ethniques).

Mais aussi parce qu'il serait, selon elle, d'une « efficacité dérisoire ».

Hier, le premier ministre Manuel Valls a dit regretter la « désunion » dans laquelle ce débat a plongé la France, pourtant si solidaire au lendemain des attentats.

En réalité, son gouvernement n'a que lui-même à blâmer pour ce naufrage. Car cette histoire montre surtout qu'un traumatisme collectif ne constitue pas le meilleur contexte pour procéder à des réformes constitutionnelles fondamentales. La précipitation et l'improvisation non plus...

Et en passant : le gouvernement de Stephen Harper nous avait lui aussi concocté une procédure de déchéance de nationalité pour crime de terrorisme, visant les citoyens binationaux. Loi qui créait une justice à géométrie variable - et que le gouvernement Trudeau s'est fort judicieusement empressé d'abroger.