Dans sa première vie, il était psychiatre. Converti en politicien ultra nationaliste, il a dirigé la microrépublique serbe de Bosnie pendant la guerre civile du début des années 90.

Inculpé par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à l'issue de ce chapitre sanglant de l'histoire européenne, il s'est volatilisé pour se cacher sous une fausse identité, celle d'un guérisseur mystique à l'allure d'un père Noël. Sa cavale durera 12 ans.

Radovan Karadzic a été jugé coupable, jeudi, de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. L'homme à l'épaisse chevelure blanche qui a contribué au pire massacre que l'Europe ait connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale passera sa quatrième vie en prison.

Vingt années se sont écoulées entre le moment où le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) a inculpé Radovan Karadzic et celui où il a rendu son verdict. La justice internationale a été lente. Mais... elle a fonctionné.

C'est la première conclusion qui s'impose après cette décision historique, qui permet de « boucler la boucle » d'une des premières expériences de justice internationale, note la juriste canadienne Louise Arbour, qui a agi comme procureure au TPIY entre 1996 et 1999.

« Malgré tout le scepticisme, malgré les difficultés opérationnelles, la justice internationale qui était alors dans ses tout premiers balbutiements a livré un résultat », ajoute Mme Arbour.

Quand elle est arrivée à La Haye, où siège le tribunal, le conflit venait tout juste de se terminer. Personne ne s'attendait, alors, que les procédures contre les principaux responsables des plus graves crimes commis pendant les guerres post-yougoslaves s'étireraient sur 20 ans.

Deux des principaux acteurs des massacres de Bosnie, le leader politique Radovan Karadzic et son chef militaire Ratko Mladic, étaient introuvables. « Ils étaient comme une épée de Damoclès au-dessus de nous, se souvient Louise Arbour. Les gens nous disaient que si on ne pouvait pas juger ces deux-là, le tribunal serait perçu comme une faillite. »

Au total, 161 personnes ont été traduites devant le TPIY. Jusqu'à maintenant, plus d'une soixantaine d'accusés ont été jugés pour les horreurs commises durant les guerres civiles de Bosnie et de Croatie. L'ancien dirigeant yougoslave Slobodan Milosevic, accusé d'avoir orchestré ces conflits, est mort en prison en 2006, avant de recevoir son verdict.

Le chef d'orchestre n'a pas pu être condamné. Mais son premier violon, lui, l'a été jeudi... Pour vous donner une idée de l'importance de Radovan Karadzic dans ce conflit meurtrier, c'est lui qui a conçu la campagne d'épuration ethnique au nom de laquelle des membres des milices serbes en Bosnie ont violé et tué, conduit des déportations collectives et enfermé des Bosniaques musulmans dans des camps.

Le pire massacre de cette guerre, qui a fait plus de 100 000 morts, s'est déroulé en juillet 1995, quand l'armée de la République serbe de Bosnie, dirigée par le général Ratko Mladic, a pénétré dans l'enclave de Srebrenica où s'étaient réfugiés des milliers de Bosniaques théoriquement protégés par l'ONU. Elle a arrêté et emmené plus de 8000 hommes et adolescents qui ont été assassinés dans les jours qui ont suivi.

Jeudi, Radovan Karadzic a été reconnu coupable de cet acte génocidaire commis par un chef militaire qui répondait à ses ordres. Neuf autres accusations pour des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été retenues par le tribunal qui l'a condamné à 40 ans de prison.

« Cette décision est très, très importante, elle renforce l'architecture du droit pénal international », fait valoir Frank Chalk, directeur de l'Institut montréalais d'étude sur le génocide et les droits de la personne, de l'Université Concordia.

Surtout, souligne-t-il, ce jugement attribue la responsabilité des crimes commis au nom d'un nationalisme extrémiste aux leaders politiques qui l'ont fomenté, et pas seulement aux exécutants armés. Et cela inclut feu Slobodan Milosevic, qui soufflait dans l'oreille de Karadzic.

Le procès de Ratko Mladic n'est pas terminé, mais le verdict de jeudi ne laisse pas beaucoup d'échappatoires à celui que l'on avait surnommé « le boucher des Balkans. »

La justice internationale a-t-elle été trop lente ? Pendant ces deux décennies, la situation a changé en Serbie et en Bosnie, ce qui rend ce jugement moins pertinent, estime Louise Arbour.

Mais la justice internationale a des circonstances atténuantes. À commencer par la longue cavale des deux principaux accusés. Ratko Mladic n'a été arrêté qu'en 2011 - un délai qu'on ne peut pas imputer au TPIY.

Par ailleurs, les procès menés par ce tribunal vont au-delà d'une simple procédure criminelle. On ne se contente pas d'établir une responsabilité individuelle, on documente un contexte historique et sociologique qui a permis que les crimes aient eu lieu. Cela prend du temps. Mais cela permet d'établir une vérité historique en béton.

Le fonctionnement des tribunaux pénaux internationaux gagnerait sans doute à être révisé, pour accélérer les procédures, pense Louise Arbour. Mais pour l'instant, elle applaudit à la décision historique rendue jeudi.

En 1993, quand le TPIY a été formé par une décision du Conseil de sécurité de l'ONU, personne ne se doutait que les procédures dureraient aussi longtemps. Personne ne pouvait imaginer que Slobodan Milosevic mourrait en détention.

Mais personne, non plus, n'osait vraiment penser que Radovan Karadzic finirait par répondre de ses crimes. Cet évènement s'est produit jeudi. C'est énorme. Et c'est un avertissement pour les bourreaux qui sévissent aujourd'hui...

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Plus de 10 000 Musulmans de Bosnie ont assisté le 31 mars 2003 à Srebrenica à l'inhumation des 600 premières victimes identifiées de la tuerie perpétrée aux abords de cette ville le 11 juillet 1995.