Dès les premiers jours de la trêve qui a partiellement apaisé la Syrie au cours des deux dernières semaines, des manifestants sont descendus dans les rues pour protester pacifiquement contre le régime de Bachar al-Assad.

Une centaine de communautés contrôlées par l'opposition ont été touchées par ce mouvement de protestation. Les manifestants brandissaient les mêmes drapeaux qu'au printemps 2011 et se rassemblaient autour des mêmes slogans, appelant à la démocratie et à l'unité nationale.

« C'était comme si le temps avait reculé de cinq ans », s'étonne l'analyste syrien Salam Kawakibi, de l'Initiative de réforme arabe, centre de recherches établi à Paris.

Comme d'autres Syriens en exil, Salam Kawakibi a trouvé du réconfort dans ces images rappelant les balbutiements du printemps syrien - qui a abouti, depuis, à la boucherie que l'on sait.

En voyant ses compatriotes défier le régime en se réclamant de la démocratie et de l'inclusion, il a pensé que « la société syrienne n'[était] pas complètement détruite ».

Qu'après des années de sectarisme et de barbarie qui ont chassé près de la moitié des Syriens de leurs foyers et causé près d'un demi-million de morts, quelque chose de l'esprit de mars 2011 était resté vivant.

Surtout, ces manifestations rappellent qu'à l'origine, le mouvement d'opposition à Bachar al-Assad était pacifique, inclusif et démocratique, souligne le chercheur. C'est le régime lui-même qui a militarisé et radicalisé la révolte, par la violence de sa répression. « Les premiers groupes djihadistes ne sont apparus que dix-huit mois après les premières manifestations anti-Assad. »

Bachar al-Assad a bien fini par remporter son pari : celui de se poser comme l'unique rempart contre l'extrémisme. Mais à l'origine, le mouvement de révolte n'avait rien de radical. Profitons de ce cinquième anniversaire pour rappeler cette réalité historique trop souvent occultée.

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La première fois que j'ai rencontré Rafif Jouejati, cette consultante de Washington d'origine syrienne avait tout laissé tomber pour soutenir, de loin, les militants anti-Assad. C'était le début de la guerre civile et sa principale mission consistait à dénombrer les morts. Une tâche devenue quasi impossible, depuis le temps...

Ces derniers temps, Rafif Jouejati est active au sein d'un groupe appelé FREE-Syria, fondation qui a réussi à financer la construction d'une école à Idlib. Et qui fait circuler une « charte de la liberté » faisant la promotion des idéaux démocratiques du printemps 2011.

Comme d'autres Syriens en exil, Rafif a vu des membres de sa famille périr sous les bombes, d'autres traverser la mer Égée pour échapper à la mort.

« Il n'y a pas un seul Syrien qui n'ait pas souffert d'une façon ou d'une autre de cette guerre », affirme Mme Jouejati.

Rafif Jouejati a elle aussi trouvé une consolation dans les manifestations des dernières semaines. « L'esprit du début de la révolution est de retour », se réjouit-elle en pensant à tous ceux qui sont descendus dans les rues de Homs, d'Idlib ou de Darayya.

« Les gens protestent autant contre le groupe État islamique que contre le régime. Ils voient bien que les deux collaborent, que le régime bombarde les écoles et les hôpitaux, mais qu'il laisse les extrémistes tranquilles. »

Voilà l'une des grandes leçons de cette guerre. Deux entités théoriquement ennemies peuvent devenir des alliés objectifs, chacun nourrissant la propagande de l'autre. L'EI sert bel et bien les fins de Bachar al-Assad. Pourquoi celui-ci tenterait-il vraiment de l'éliminer ?

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Au-delà d'un bilan humanitaire épouvantable, quels sont les autres legs du carnage syrien ?

Depuis cinq ans, il a profondément transformé la géopolitique du Moyen-Orient. Mais selon Marie-Joëlle Zahar, politologue à l'Université de Montréal, la guerre civile syrienne n'a fait que confirmer des tendances qui existaient déjà dans la région.

En exacerbant, par exemple, le conflit entre l'Iran et l'Arabie saoudite, deux pays qui interviennent directement en Syrie. Cette guerre met aussi en lumière la difficulté de gérer la diversité ethnique et religieuse dans des pays avec un long passé autoritaire. Avec, à la clé, une remise en question des frontières qui enferment ces populations diverses au sein d'un même État.

Ajoutez à cela la tentation d'accuser de terrorisme tous ceux qui contestent des régimes autoritaires, et vous obtenez le cocktail explosif qui a embrasé la Syrie.

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Pour Salam Kawakibi, ces cinq années de conflit ont aussi produit quelques changements positifs. L'apparition d'une société civile comme la Syrie n'en avait jamais vu auparavant, par exemple. « Aujourd'hui, pas loin de 2500 ONG viennent en aide aux Syriens, qui s'organisent d'une manière qui n'était pas envisageable autrefois. »

Il cite aussi, au tableau des acquis positifs, une effervescence intellectuelle, artistique et médiatique, secteurs d'expression longtemps opprimés par la dictature. « Avant 2011, la Syrie publiait trois journaux officiels. Aujourd'hui, on compte pas loin de 50 titres hors des zones contrôlées par l'État. »

Bien des journalistes ont perdu la vie, assassinés par le régime, par l'EI ou tombant sous une balle venue d'on ne sait où. Mais selon Salam Kawakibi, cet espace d'entraide et de liberté de parole est là pour rester, le jour plus ou moins lointain où la paix finira par revenir...

On ne peut qu'espérer qu'il a raison.