Sur la carte, Idomeni est un petit village du nord de la Grèce qui semble chevaucher la frontière avec la Macédoine. Il abrite en tout et pour tout 154 habitants.

Mais ça, c'était avant que la Macédoine ne décide de fermer progressivement les portes aux réfugiés qui affluent au poste frontalier d'Idomeni. En novembre, elle avait limité le passage aux Syriens, Irakiens et Afghans. En février, elle a exclu les Afghans. Et depuis une dizaine de jours, la frontière n'ouvre plus que de manière sporadique et aléatoire, pour laisser passer les réfugiés au compte-gouttes.

Résultat : des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants sont coincés dans un camp qui craque sous la pression, et dans des conditions de plus en plus précaires.

Le camp d'Idomeni peut accueillir 1500 réfugiés. Lundi, ils étaient 7500. Mardi, 9500. Et ça continue.

« En ce moment, la frontière est complètement bloquée, personne ne peut traverser et les gens continuent à arriver », explique le Canadien Tim Jagatic, de l'ONG Médecins sans frontières à Idomeni.

Imaginez un peu : près de 10 000 personnes dans une structure prévue pour 1500. Ça veut dire que des gens doivent dormir en plein air, ou sous des bâches improvisées, par des nuits plus que fraîches, voire sous la pluie.

Ça veut dire qu'ils ont difficilement accès aux douches et aux toilettes. Qu'ils sont réduits à une grande précarité, doublée d'une immense incertitude. Que les conditions d'hygiène déclinent à vue d'oeil, tandis que les risques pour la santé explosent.

« Dans les conditions actuelles, nous pouvons difficilement assurer les soins de base », tranche Tim Jagatic, un médecin de Windsor, en Ontario.

Or, parmi les voyageurs qui ont rejoint ce point de passage vers le nord de l'Europe, on compte beaucoup de petits enfants, de personnes âgées, de femmes enceintes, bref, des gens vulnérables déjà épuisés par leur périple.

Ces derniers jours, Tim Jagatic a soigné beaucoup d'infections respiratoires, de diarrhées, d'autres troubles intestinaux. Non seulement chez les réfugiés du camp où l'on n'accepte que les personnes théoriquement admissibles en Macédoine. Mais aussi chez les exclus de l'Eldorado européen, des Afghans ou des Marocains qui traînent dans les boisés environnants, proies parfaites pour passeurs de tout acabit.

À mesure que le temps passe, le niveau de frustration et de confusion augmente, contribuant au chaos général, raconte Tim Jagatic. Les policiers macédoniens ne font pas dans la dentelle. MSF rapporte avoir dû soigner une centaine de migrants blessés dans des escarmouches avec les forces de l'ordre de la Macédoine, dont certains présentaient des blessures semblables à des morsures de chiens.

Les réfugiés ne savent jamais quand la frontière va ouvrir. Certains passent leurs journées accrochés aux barbelés, pour ne pas rater leur chance. Lundi, dans un mouvement de désespoir, ils ont tenté de défoncer la clôture. La police de la Macédoine les a arrosés de gaz lacrymogènes.

Dans cette situation, « il est extrêmement difficile d'assurer la sécurité dans le camp », s'inquiète Tim Jagatic. Chaque rumeur d'ouverture des frontières provoque un nouveau mouvement de foule vers le point de passage. Depuis le début de la semaine, toutes ces rumeurs s'avèrent non fondées...

Même MSF risque de s'exposer à la colère qui enfle de jour en jour. Lundi, croyant que l'ONG médicale ne leur offrirait plus de soins, des réfugiés ont lancé des appels à des protestations. « La moindre rumeur ici se répand comme un virus », résume le Dr Jagatic.

Ce dernier craint que la situation ne se détériore davantage à mesure que les réfugiés continueront à affluer vers Idomeni. « Nous n'avons pas la capacité de composer avec cette situation, et l'Europe ne fait rien, je ne comprends pas pourquoi... »

Dire que l'Europe ne fait rien est un euphémisme : en réalité, face à cette crise qui perdure, les pays européens font bien « quelque chose ». Ils se renvoient la balle, construisent murs et barbelés, ferment les frontières, et se chicanent entre eux sur la politique à suivre - laissant la Grèce seule face à cette vaste crise humanitaire qui s'accentue de jour en jour.

Avec les pénuries d'abris, de nourriture, d'eau et d'installations sanitaires de base, « l'Europe est au bord d'une crise humanitaire auto-provoquée », avertit le Haut-Commissariat pour les réfugiés de l'ONU.

Et pourtant, si tous les États de l'Union européenne avaient accepté de répartir les réfugiés au prorata de leurs populations respectives, le flot migratoire aurait pu être absorbé sinon sans efforts, du moins sans causer de débordements et de crises aiguës comme celle que l'on voit aujourd'hui. Plus encore si les autres pays développés s'étaient mis de la partie...

On ne le dira jamais assez : la crise des réfugiés était et reste soluble. Mais pour cela, il aurait fallu beaucoup de volonté collective. Une denrée en voie de disparition.