Jeudi dernier, les députés européens ont voté massivement en faveur d'un embargo sur la vente d'armes à l'Arabie saoudite. Pourquoi ? Parce que l'intervention de la coalition militaire dirigée par Riyad contre les rebelles houthis au Yémen a provoqué une « crise humanitaire désastreuse » qui frappe particulièrement les civils.

La résolution se garde bien de nommer les quatre principaux fournisseurs européens d'armes au régime saoudien : la Grande-Bretagne, la France, l'Espagne et l'Allemagne. Elle n'est pas non plus exécutoire. Mais elle place les gouvernements européens qui continuent à vendre des armes aux Saoudiens dans une position moralement délicate.

Trois jours plus tard, c'était le tour d'Amnistie internationale (AI) de faire une sortie remarquée devant les représentants de pays signataires du Traité sur le commerce des armes, réunis à Genève, pour leur demander de couper le flux d'armes vers l'Arabie saoudite.

Actuellement, plusieurs pays qui ont signé ce traité continuent à approvisionner l'armée saoudienne en armes, dont certaines ont été utilisées dans la guerre civile qui déchire le Yémen depuis un an. Selon AI, ces États n'ont pas seulement « tourné le dos au peuple du Yémen », mais ils « contribuent aussi à sa souffrance ».

Ainsi, Amnistie internationale a documenté au moins 30 frappes aériennes conduites par la coalition dirigée par Riyad, qui ont ciblé des objectifs non militaires et causé la mort de 366 civils...

L'organisme insiste pour que l'embargo s'étende à tous les types d'armes - incluant des véhicules blindés comme ceux que le Canada s'apprête à livrer à l'armée du roi Salman.

Ces blindés seraient-ils éventuellement déployés au Yémen ? On peut le croire. Déjà, un article publié il y a une semaine dans le Globe and Mail affirme que des véhicules militaires construits au Canada « semblent avoir été impliqués au Yémen ».

Et pour river un autre clou dans le cercueil du commerce militaire avec Riyad, le Globe and Mail a publié hier une entrevue avec un ex-ministre libéral, Irwin Cotler, qui appelle le gouvernement de Justin Trudeau à revoir son contrat de livraison de blindés à l'Arabie saoudite. Il s'appuie sur un principe assez simple : celui de ne pas vendre d'armes à un pays qui se « livre à des violations systématiques et persistantes des droits de l'homme ». Ce que fait pourtant l'Arabie saoudite de façon quasi ostentatoire...

Et ajoutons à cela qu'une pétition internationale appelant à un embargo sur la vente d'armes à l'Arabie saoudite a déjà recueilli 740 000 signatures.

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À mesure qu'approche le premier anniversaire d'une guerre qui passe généralement inaperçue, et qui est catastrophique pour la population du Yémen, les voix appelant à des représailles contre l'Arabie saoudite s'intensifient.

Jusqu'à maintenant, seule la Suède a officiellement rompu son contrat militaire avec Riyad. Et pour l'instant, le gouvernement de Justin Trudeau a choisi d'honorer le contrat de 15 milliards conclu par son prédécesseur, en violation de ses propres règles sur les ventes d'armes...

Les raisons invoquées par Ottawa pour garder le cap dans ce dossier ? Ne pas entacher la réputation du Canada en le faisant passer pour un pays qui ne tient pas sa parole. Et aussi, éviter les conséquences financières d'une rupture de contrat.

Le gouvernement libéral s'est engagé à signer le traité sur le commerce des armes boudé par les conservateurs. Fort bien. Mais on sait que les traités et les déclarations d'intentions sont sujets à interprétation. Comme je l'écrivais plus tôt, plusieurs pays signataires de ce traité continuent à vendre des armes aux Saoudiens. Tandis qu'un « code de conduite » adopté par le Parlement européen il y a huit ans, et appelant à ne pas vendre d'armes à des pays où celles-ci seraient susceptibles « d'être utilisées pour commettre de graves violations de droits », n'empêche pas des acteurs européens de premier plan de continuer à faire des affaires militaires avec Riyad.

Mais la pression monte pour faire cesser ce commerce. Le régime saoudien se durcit, à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. Sa coalition ne se gêne pas pour bombarder des hôpitaux et des écoles. En lui fournissant des véhicules militaires, le Canada préserverait peut-être l'image d'un partenaire commercial fidèle. Mais au prix de participer à une campagne militaire inhumaine et dévastatrice. Son image en sortirait pas mal plus écorchée, merci...