Jeudi, à l'émission matinale de France Inter, l'animateur Patrick Cohen discute avec le vice-président du Front national, Florian Philippot.

Il commence par lui demander de réagir aux propos de Donald Trump, candidat à l'investiture républicaine aux États-Unis, qui veut interdire l'accès du pays à tous les musulmans.

C'est vraiment n'importe quoi, s'indigne Florian Philippot, qui jure que son propre parti sait bien faire la distinction entre musulmans et intégristes.

Vraiment ? Pourtant, Marion Maréchal-Le Pen, nièce de la leader du FN, Marine Le Pen, a déjà déclaré que « les musulmans ne peuvent espérer en France avoir le même rang que les chrétiens », lui rappelle l'animateur.

Florian Philippot patine un peu, évoquant un vague communiqué où la blonde frontiste se serait expliquée au sujet de cette déclaration. Puis il se rabat sur le programme de son parti, lequel, jure-t-il, se tient loin de l'amalgame associant islam et fondamentalisme.

D'un côté, le programme officiel d'un parti de droite, certes, mais d'une droite relativement policée et quasi fréquentable. De l'autre, des discours qui montrent un visage beaucoup plus radical. Le FN de Marine Le Pen slalome entre ces deux réalités.

Quelle est donc la vraie nature de ce parti qui a causé un électrochoc, dimanche dernier, en remportant le premier tour des élections régionales - dont le second tour avait lieu dimanche ?

Jusqu'aux attentats du 13 novembre, le Front national maniait une rhétorique « alternant xénophobie et humanisme de façade », écrit la chercheuse Cécile Alduy dans une analyse des discours des candidats frontistes pendant la campagne électorale de l'automne. Mais après les attentats, les propos anti-islam et anti-immigration ont pris presque toute la place, constate l'auteure de Marine Le Pen prise aux mots, un essai analysant les discours de la chef du FN.

« Pour mériter la nationalité française, il faut parler français, manger français, vivre français », a notamment statué Marine Le Pen lors d'une rencontre avec ses militants corses, cet automne.

En coupant les ponts avec son père Jean-Marie Le Pen, fondateur du FN, dans un divorce fracassant, Marine Le Pen a voulu compléter la « dédiabolisation » de son parti. Mais cette coupure n'est qu'une illusion, selon Cécile Alduy, qui enseigne la littérature française à l'Université Stanford, en Californie.

Voici, en vrac, quelques déclarations outrancières qui illustrent son diagnostic. Si jamais la France devait perdre la guerre contre le terrorisme, « la charia y remplacerait bientôt la Constitution, l'islam radical se substituerait aux lois actuelles, et toutes les femmes se verraient imposer la burqa », a déjà déclaré Marine Le Pen.

Pour qu'un musulman puisse se réclamer de la nationalité française, il devrait se plier aux « moeurs et mode de vie que l'influence grecque, romaine et seize siècles de chrétienté ont façonnés », a affirmé sa célèbre nièce.

Et il n'y a pas que mesdames Le Pen, tante et nièce. L'hebdomadaire L'Obs a scruté au printemps les comptes Facebook et Twitter de candidats frontistes aux élections départementales. Entre celui qui s'étonne qu'on s'offusque de la profanation des mosquées, celui qui propage des clichés antisémites et un autre qui suggère de mettre « tous les Arabes dans un bateau pour les couler », il y a là une belle collection de méchancetés racistes, xénophobes et haineuses.

Exempt de ce genre de dérapages incontrôlés, le programme du FN n'en reste pas moins campé très, très à droite.

À ses yeux, « l'immigration est utilisée par les puissances d'argent et le grand patronat pour peser à la baisse sur les salaires et les droits sociaux des travailleurs français », lit-on dans Notre projet, le programme politique du front national.

« L'immigration n'est pas un projet humaniste, mais une arme au service du grand capital », poursuit le document, qui propose de faire passer de 200 000 à... 10 000 le nombre d'immigrants acceptés chaque année en France.

Le FN s'engage aussi à s'en prendre aux clandestins, qui seraient automatiquement renvoyés. Tandis que les manifestations de soutien aux sans-papiers seraient carrément interdites.

Plus de discipline à l'école, rétablissement de la peine de mort, abandon de l'euro, retour aux contrôles frontaliers, resserrement du système judiciaire, mais aussi augmentation des allocations familiales et établissement d'un revenu parental pour permettre aux parents de jeunes enfants de ne pas travailler : voilà quelques autres éléments d'un programme axé sur le repli nationaliste, l'aide aux plus démunis, et un État fort obsédé par la sécurité.

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Ce cocktail idéologique campe clairement le FN à l'extrême droite de l'échiquier politique, selon Nicolas Lebourg, spécialiste de cette mouvance politique en France. Une extrême droite qui ne s'inscrit pas dans la filiation du fascisme italien ou allemand, écrit-il. Les frontistes ne sont pas des néo-nazis. Mais ils s'inscrivent dans la tradition d'un patriotisme exalté, revanchard et populiste né en France vers la fin du XIXe siècle, qui vantait les vertus du culte du sacrifice, de la discipline et du chef...

« Le coeur idéologique de l'extrême droite est fondé sur des hiérarchies et des liens naturels, comme la famille, la patrie, parfois la race, qu'un État fort et autoritaire doit maintenir et renforcer », explique Cécile Alduy dans une entrevue par courriel. Et le Front national adhère pleinement à cette vision conservatrice et réactionnaire de la société.

Ce qui s'exprime dans des propositions extrêmes, comme celles visant à éradiquer l'immigration, expulser les immigrés chômeurs et restreindre les droits individuels par des changements constitutionnels.

Et la « dédiabolisation » ? Aux yeux de Cécile Alduy, ce n'est qu'une « opération médiatique qui n'a aucune influence sur le programme lui-même, et très peu sur les idées au sein du FN ».

Supporters attend the announcement of French National Front political party leader and candidate Marine Le Pen results during the first round of the regional elections at a polling station in Henin-Beaumont, France, December 6, 2015. REUTERS/Pascal Rossignol