Une fois par mois, Sarah Lurçat quitte son village du nord d'Israël pour faire l'ascension du mont du Temple, dans la vieille ville de Jérusalem.

Accompagnée par d'autres jeunes Israéliens, l'étudiante de 25 ans se livre à cet exercice dans l'espoir de faire lever toutes les restrictions qui limitent l'accès à ce lieu de culte, vénéré tant par les juifs que par les musulmans.

Pour les premiers, l'esplanade qui surplombe le mur des Lamentations représente l'endroit où le roi Salomon a construit le premier temple juif. Les seconds y voient plutôt le Dôme du Rocher, dont la coupole dorée recouvre le lieu d'où Mahomet s'est envolé vers le ciel sur son cheval blanc.

C'est le premier lieu saint du judaïsme. Et le troisième lieu de culte en importance de l'islam. C'est aussi l'esplanade de tous les dangers, dont l'accès est strictement contrôlé pour éviter les explosions.

De plus en plus d'Israéliens contestent ces restrictions. «Je veux pouvoir aller partout où je veux en Israël, le statu quo est inadmissible», proteste Sarah Lurçat, jointe par téléphone cette semaine.

Ce statu quo date de la victoire israélienne à l'issue de la guerre des Six Jours, en juin 1967. Après avoir laissé flotter le drapeau israélien sur le Dôme du Rocher pendant quelques jours, le général Moshe Dayan avait décidé de céder l'administration des lieux aux autorités religieuses jordaniennes. Façon d'apaiser les tensions. Ou d'assurer une paix durable.

Depuis près de 50 ans, donc, seuls les musulmans ont le droit de prier sur l'esplanade des mosquées, tandis que les juifs prient en contrebas, devant le mur des Lamentations. Ils peuvent se rendre sur la place des mosquées pour des visites «touristiques», en petits groupes. Mais pas question de prier. Soumis à la pression de groupes de plus en plus influents, ce statu quo est en train de voler en éclats.

Autrefois, seuls quelques juifs radicaux défiaient l'interdit pour aller prier sur le mont du Temple. Aujourd'hui, le phénomène s'étend au-delà d'une poignée d'illuminés. On ne parle plus d'un mouvement marginal, mais d'une vague qui touche des députés, des ministres et... des jeunes comme Sarah Lurçat.

«Nous sommes des laïcs, des religieux ou des traditionalistes qui avons décidé de faire quelque chose pour le mont du Temple», clame la page Facebook des «Étudiants pour le mont du Temple», dont fait partie Sarah Lurçat.

Celle-ci confie qu'elle ressent bien une émotion religieuse à chacune de ses ascensions. Mais ce qui l'anime surtout, c'est le désir «d'ouvrir le mont du Temple à toutes les religions». Et de se débarrasser des restrictions imposées aux juifs, qu'elle juge «choquantes».

Les médias israéliens constatent que des groupes comme celui auquel appartient Sarah Lurçat se multiplient à la vitesse grand V. «Le mouvement a fait un bond géant pour sortir de la marginalité», écrit le journal Haaretz.

Fidèles du mont du Temple, Institut du mont du Temple, Femmes pour le mont du Temple: la prolifération de ces groupes est sans précédent, selon Haaretz.

Certains se contentent de vouloir prononcer leurs prières; d'autres rêvent d'y construire le troisième temple juif.

Depuis un an, le mouvement a reçu des appuis de taille. En mars, un tribunal de première instance a tranché en faveur des «ascensionnistes.» De plus en plus de rabbins orthodoxes donnent le feu vert à la montée vers le mont du Temple. Auparavant, la majorité d'entre eux condamnaient cette pratique pour des raisons religieuses, question de préserver ce lieu saint contre l'impureté des mortels. Aujourd'hui, ils cherchent plutôt des méthodes de purification...

Enfin, de plus en plus de politiciens, y compris des ministres, demandent eux aussi d'ouvrir l'esplanade des mosquées aux prières judaïques.

Ces voix ne sont pas encore majoritaires, ni au sein du rabbinat, ni au Parlement, ni dans le grand public. Mais aujourd'hui, elles s'expriment sans gêne et sans sourdine.

«Ce courant ne représente pas plus de 10% de l'opinion, mais il est très mobilisé, et son poids politique réel est beaucoup plus important», dit Robert Blecher, expert du Proche-Orient au International Crisis Group (ICG).

La bataille pour le mont du Temple est le «microcosme du conflit israélo-palestinien», constate un récent rapport du ICG.

Et ce microcosme est de plus en plus agité. Ces dernières semaines, nous avons pu assister à l'habituel enchaînement d'attaques, suivies de représailles, suivies de nouvelles attaques et de nouvelles représailles.

Selon Robert Blecher, en absence de tout espoir de paix, la bataille pour le mont du Temple est au coeur de cette nouvelle spirale de violence qui fait surgir le spectre d'un nouveau soulèvement palestinien. Une troisième intifada.